mercredi 5 mai 2021

Moralité et écologie

Ce n’est pas comme si l’époque des machines ne nous avait pas fait de dégâts. Je ne prends pas la position de l’homme de l’esprit, le mystique ou le poète en ce disant. Je ne prétends pas, non plus, qu’il n’y ait pas eu d’autres dérives collectives à d’autres époques.

C’est une question de sens – quel sens y-a-t-il dans la vie ?

Cela a tracassé l’esprit de George Orwell, qui a terminé, d’apparence faiblement, par dire « La décence humaine ». La quête de sens termine souvent par une « croyance forte » - ce qui a l’utilité d’être hors le champs du débat rationnel. Pourquoi pas une croyance forte faible ?

Il y a aussi le fait de vivre, tout simplement, sans se demander quelle serait la motivation profonde. Il y a beaucoup de « vérité » dans ce positionnement – on peut observer que les vérités morales d’une époque cèdent à la réalité d’une autre. Il serait donc incohérent d’avoir des croyances rigides qui risquent d’être contredites par les faits.

C’est le sujet de cet écrit. Mais rien n’empêche les passions de prendre le relais – beaucoup d’entre nous « croient » à l’amour, bien que l’amour est souvent sujet à trahison et donc l’une des valeurs les moins sûres qui soit. Les sensations envahissantes affirment leur vérité, indépendantes de notre volonté apparente. Et c’est peut-être cela qui fait que nous voulons y croire – cette vérité sociale existe en dehors de notre croyance.

Pour terminer cette brève perspective globale, on peut considérer la question d’intérêt : intérêt personnel, social ou général. La rationalité de l’être humain et de toute vie dépend, en grande partie, de sa réalité somatique ou expérientielle. J’en donnerai deux exemples. Lorsque je suis bien nourri et je vois un chevreuil sur ma route en voiture, je ferai tout pour l’éviter. Lorsque j’ai faim, j’aurai envie de lui rentrer dedans. On dit que les Perses avaient l’habitude, lors de la prise de décisions importantes, de discuter une fois autour du repas du soir, plutôt saouls, et une deuxième fois le lendemain matin, plutôt avec mal aux cheveux.

Donc le premier leçon de la moralité écologique est « quelles sont les conditions physiques et sociales lors des prises de décision concernant l’écologie ? » Nos gouvernants ne l’ignorent pas, ce leçon – c’est même l’une des critères de base de leurs prises de décision.

Les penseurs écologiques ne l’ignorent pas non plus. L’une de nos vérités inconfortables principales est notre éloignement de la nature. Comment, donc, prendre des décisions sur cette cause lorsque nous n’avons pas connaissance de cause ? C’est la démocratie même qui est en jeu !

Si on met ces deux constats ensemble, on peut se demander pourquoi nos gérants sont si frileux à créer des programmes systémiques d’initiation à la nature ? Il ne manque pas d’exemples dans l’histoire – que ce soit la rencontre entre Roosevelt, le chasseur invétéré et John Muir, le formateur du Sierra Club, qui ont scellé la création des parcs naturels. Où le mouvement des Scouts de Brandon Powell, les rites d’initiation à la nature des tribus lointaines et la chasse sous toutes ses formes. La nature na jamais cessé d’être terreau fertile pour les mouvements sociaux et les modes.

François Terrasson, dans son livre posthume « La Peur de la Nature » a proposé que c’est une question de culture, qu’il y a des cultures du bocage et des cultures du monde artificiel. Sommes-nous sous le joug de la culture dominante, celle qui veut imposer le monde artificiel partout ? Il y a beaucoup de discours qui vont dans ce sens – qui accusent l’homme moderne d’hypocrisie pure et simple, lorsqu’il prétend aimer la nature qu’il détruit.

Mais dans ce cas, les écologistes qui en parlent sont les premiers coupables. Je ne connais pas d’écologiste de renom qui ne pêche pas par ses excès de consommation – principalement ses voyages à des contrées lointaines. On peut beau critiquer la colonisation, l’un de ses aspects les plus nocifs continue bon train – le « globe-trotting », l’élite internationale est florissante. Pour moi, comme pour beaucoup de vrais écologistes, cette contradiction est telle que je ne peux pas vraiment accepter cette génération de voyageurs de par le monde comme des écologistes authentiques. J’attends avec impatience – et fais de mon mieux de faire naître, une véritable cohérence écologique autour de cette problématique. Dans ce cas, c’est le transport, mais on peut également questionner l’écologie des riches en général – si, pour initier des projets prétendument écologiques, il faut commencer par « acheter » les terrains – n’est-il pas question de biens mal acquis ? Si une compagnie pétrolière ou un particulier a gagné ses avoirs en exploitant la terre, tandis que l’écologue frugal se voit nié à tous égards, l’écologie devient une pratique à bilan net anti-écologique.

Je me rappelle, par voie d’exemple, une édition passionnante de « Carbone 14 » sur France Culture, où le sujet était l’héritage génétique de l’être humain moderne. Pendant cette émission, l’expert concerné a avoué qu’en Afrique, il n’y avait guère d’exemples d’ADN ancienne corrélés avec les profiles des populations modernes, parce qu’il n’y avait presque pas d’experts et de ressources sur ce continent. Il faut imaginer qu’en Afrique Centrale, il existe un seul archéologue. En France, il en existe des milliers. C’est la même chose pour les échantillons d’ADN. Et cependant, si nous savons si peu sur les plusieurs humanités qui existaient jusqu’à il y a peu (de dix à vingt mille ans avant notre ère), c’est à cause de ces carences.

Il est parfaitement grotesque de constater que malgré le prétendu effet civilisateur de l’époque moderne, nos médias continuent d’envoyer sur place et de recevoir dans leurs studios des experts qui n’existent pas dans les pays qu’ils étudient.

Ce qui donne encore plus de chagrin, c’est le manque d’introspection ouvert à ce sujet. Une fois alerté, on ne voit que des exemples en série. Le sujet n’est jamais adressé, et on ne peut que supposer que dans ces élites de voyageurs, bien ressourcés, confortables, il est né un genre de complicité – sur les sujets qu’on ne va pas regarder d’en face, en public. Ce sont les sujets les plus brûlants, à vrai dire. Je n’ai aucun doute que personnellement, plusieurs membres de ces élites font toute sorte de chose pour réduire leur empreinte carbone, tout sauf arrêter de voyager – ou arrêter d’étayer cette mode d’opération. Il en va de leur choix de vie.

Dans le cas de l’Afrique, la solution est claire – on forme les experts de l’Afrique, on contribue à la création de leur infrastructure et on collabore avec. Terminés les voyages – il faut faire autrement. On se débrouille bien avec les anglophones – il y a des interprètes. Ouvrons des écoles d’interprètes – pour toute langue – toute richesse de notre biodiversité.

Le phénomène de l’essentialisation de notre mode de vie destructrice est également observable chez nous. C’est une question de ni vu ni su. L’essence de nos vies dépend de la voiture et du camion, dans ce cas. Il nous arrive de vivre en parfaite cohérence écologique … sauf pour la voiture. Enfin, c’est réducteur – sauf pour les planches de douglas qu’on a préféré acheter plutôt qu’en couper soi-même, sauf pour la viande et les produits laitiers que nous choisissons de manger à chaque repas. L’important paraît être que ce ne soit pas nous qui l’avons directement fait. Notre argent l’a acheté, mais nous ne l’avons pas fait. L’important est que toute notre empreinte de consommation visible se réduit à un voyage en voiture, avec les denrées qu’on a acheté. Personne n’est vraiment dupe de cette supercherie – c’est un peu comme l’inceste – tant qu’on ne le déclare pas, cela n’existe pas.

L’une des solutions, ce serait de faire du chiffrage de notre consommation d’énergie un sujet d’étude, pour chaque acte. Un être humain de 70kg consomme à peu près 60Wh – une ampoule incandescente. Nos machines sont infiniment plus énergivores – des kilowatts, voire plus. Nos besoins, notre manque d’argent, ne sont pas des vrais besoins à nous, sinon au train de vie que nous choisissons – les voitures, les maisons – un peu comme si nous étions tous des caractères dans un roman de Stendhal, avec un besoin d’un certain revenu pour pouvoir maintenir les apparences.

Rappelons-nous que l’analyse globale est irréfutable – la France a exporté son empreinte carbone native en achetant les produits d’ailleurs. Notre empreinte n’a pas diminué, pour autant. Nos vies « modernes », surtout à la campagne, nous « obligent » à gagner 5000 euros de plus par an pour avoir une voiture qui marche – de ce fait nous sommes souvent fauchés, mais nous y tenons quand même.

Le plus grand collectif d’intérêt commun observable à présent, c’est l’imbrisable consensus sur l’usage « nécessaire » de la voiture en milieu rural. Le milieu rural français qui est, normalement, un lieu particulièrement apte à produire sur place ce qu’on préfère importer d’ailleurs. L’éternelle mascarade de la plainte des exploitants agricoles peut se voir comme un détournement du vrai débat – pourquoi y-a-t-il si peu de gens en train de tirer leur vie de la terre, alors qu’elle est tellement riche ?

Il me semble que ce petit résumé des plusieurs incohérences de nos vies actuelles – de fonte en comble – permet de revenir au sujet principal – la moralité écologique.

Ce que j’essaie de démontrer est que, pour le moins, c’est un sujet qu’on préfère à tout coût éviter. Si vous voulez, je veux bien ignorer les questions de moralité et de culpabilité collectives, mais on ne me laisse pas faire, ces questions sont imbriquées dans notre mode de vie, dans notre aveuglement volontaire. Si les gens étaient vraiment de bonne conscience là-dessus, ils en parleraient librement, ils chercheraient même des solutions, mais ils préfèrent rester silencieux, du moins en public, de toute évidence. Cela s’applique particulièrement aux plus « écolos » d’entre nous, bien entendu – c’est la particularité de ce sujet sensible.

Ce n’était pas toujours le cas – la sincérité de la recherche d’un retour à la nature existait, à l’époque. Presque insensiblement, les choses ont évolué – ce sont souvent les mêmes gens, avec les mêmes vies, sauf que ces vies n’ont plus le même sens – là où on allait quelque part, on va nulle part. Là où on brisait radicalement le modèle, on en fait partie, du modèle à briser.

On aurait du y regarder de plus près il y a longtemps. Pourquoi est-ce que l’écologie – et la gauche en général, n’ont cessé de faiblir, ces dernières années ? Ma théorie (je ne suis pas le seul à l’épouser) – parce qu’ils sont devenus, progressivement, ni écolos, ni de gauche, sinon privilégiés … et de droite. Pendant ce temps – les quelques décennies entre 1968 et maintenant – la campagne-nature a cessé d’exister, en grande partie, et ceci, juste au moment de sa grande redécouverte populaire. De nouveau, je n’ai pas besoin de culpabiliser, ni de chercher à qui la faute – elle est là, de presque tous les bords, mais surtout chez les riches et puissants.

Le partage de richesse est devenu le partage de la nature – et, objectivement, sa répartition est allée dans le sens inverse de l’équité sociale. Pendant ce temps, le lobby de l’écologie est devenu le lobby en faveur de l’exclusion des pauvres de la campagne. En ceci, ils sont d’accord avec les industriels. Dans cette lumière, l’explication de l’absence d’une vraie éducation-nature populaire devient une évidence – on n’éduque pas les gens à désirer ce qu’on ne veut pas leur donner – un accès réel à la campagne. Pour cela on n’a pas le désir de jeter la faute sur quelqu’un en particulier – le particulier risque d’être nous. La solidarité, c’est d’accepter que nous sommes tous coupables – et d’arrêter d’en parler. N’est-ce pas tout-à-fait normal de vouloir élever ses enfants dans un paradis rural, entouré de gens éduqués et bien pensants ? Quelques boucs émissaires, suffisamment loin, suffisamment haineux, et le service est fait.

L’erreur sociale, ce serait de suggérer qu’il y a des vraies solutions , que la campagne doit se repeupler, que ceux qui s’y opposent sont par définition réactionnaires, de tenter de mettre en pratique ces solutions – aujourd’hui – et pas demain.

L’erreur, c’est d’avoir raison. Bien sûr que c’est préoccupant – nos pratiques actuelles nous mènent droit dans le mur. Et avant que quelqu’un ne se lance dans des réflexions sur l’improbabilité qu’en démocratie les gens votent contre leurs intérêts, rassurons-nous – les intérêts perçus par l’électorat votant sont d’être du côté des riches. Le pays entier est riche. Les subventions permettent aux pauvres qui vivent ici de vivre. Quel sens de vouloir revenir à la pauvreté ? C’est beaucoup plus simple d’arrêter la pauvreté de l’autre côté de nos frontières. De cette manière, le peuple s’allie aux intérêts des riches, les yeux grand ouverts.

Cela me fait penser qu’il y a tout un pan de réflexion absente du livre de Joseph Henrich sur l’Intelligence Collective (2016 - Harvard) qui vient de sa détermination culturelle progressiste – une sorte d’optimisme positiviste contre tout épreuve. C’est quand même d’une arrogance sans pareille de supposer que le progrès mène vers le mieux – la vieille erreur de l’évolution toujours positive.

Il ne s’adresse pas frontalement au consensus lorsque cette pensée collective se décide à faire le mal – ou à occulter le mal qui se fait. C’est, cependant, le cas le plus fréquent. Il s’efforce à expliquer la transmission, lorsque les groupes sociaux sont suffisamment grands, de nouveaux savoirs faire, de manière durable. Mais son erreur d’analyse est de se vouloir neutre.

Si les inventions ne prennent pas, c’est surtout parce qu’on y résiste. Si les us et coutumes perdurent, c’est parce que les conventions exercent un règne de terreur. Pour les délits d’opinion, on peut souffrir la peine capitale, si ce n’est de l’ostracisme à perpétuité. Le créateur se trouve face à son propre martyr – pour que les générations futures s’enfoncent dans la brèche de la réalité reçue qu’à créée sa singularité. A quoi sert l’histoire … ? A pilonner le mur de l’avenir. A quoi ne sert pas l’histoire – à entretenir le présent – l’éternelle amnésie. L’histoire crée la ligne de temps qui fait que le présent ne soit que transitoire. L’histoire permet de considérer l’avenir sans mort d’homme.

Pour que toute cette incohérence sociétale jaillisse, il a fallu des mouvements de masse, sans message clair. Les messages clairs ont été censurés – de fait. Enfin, le non-dit assume les proportions d’un colosse.



Samedi 15 mai 2021

discrimination

L’une des questions qui se pose est celle de l’incongruité des raisons données pour expliquer la résistance à la progression – le développement. Si les forces « conservatrices » qui y résistent sont souvent identifiées avec la vieillesse, c’est qu’on imagine les vieux comme des personnes avec des pouvoir consolidés, qui n’ont aucun intérêt personnel à voir « passer » leur époque – à passer le bâton aux « générations futures » - l’éternel présent, c’est l’absence de mort.

On peut jouer ce jeu avec plusieurs intérêts sectoriels, mais il m’arrive de penser que c’est mal poser le problème, qui est multifactoriel, tout comme la société humaine l’est. En nous simplifiant en prétendus représentants de notre propre intérêt sectoriel, nous sur-simplifions tous les problèmes sociaux – qui ne ont pas des problèmes de « l’essence » de l’homme – ou, justement, de « l’être humain ». Prenons une analogie entre le racisme et le « morvisme ». Qui, lorsqu’il se croit non-observé, ne fouille ps dans son nez pour décoincer les morves qui s’y sont accumulées ? Qui dit « ça ne se fait pas » ? Qui dit que lui, personnellement, ne le fait pas ?

Si je rajoute ces observations, c’est que je viens d’écouter une émission où une femme décrit ses problèmes pour être acceptée comme coureuse de marathon (une discipline qui a résisté à la féminisation) en 1967. Elle est physiquement agressée par le directeur de la course, avant que lui, il soit déguerpi par un autre coureur, plutôt costaud – puisqu’il est aussi joueur de foot américain. Dans ce documentaire, on enchaîne avec le commentaire d’un homme qui parle de la dominance masculine, les hommes …

Ce n’est pas mon analyse. Il faut autant de femmes que d’hommes pour maintenir l’ordre établie. Pour chaque groupe discriminé, il y a des membres du groupe – jusqu’aux individus qui le subissent, qui fidèlement appliquent les discriminations qui représentent la norme attendue. Et il y a des membres du groupe discriminant qui cassent la discrimination.

Les groupes « non-mixtes » sont des groupes discriminants. La discrimination positive discrimine, injustement – une injustice envers des individus pour en compenser une autre. Je cite un sondage, où on a trouvé que des hommes allaient discriminer en faveur des hommes pour des postes techniques, mais qui se montraient plus reconnaissants par rapport aux qualités des femmes, une fois embauchées et au travail.

Cela pourrait s’expliquer par le rapport – l’intégration sociale – qui est d’abord indéfini et ensuite déterminé. Dans cette analyse, les « niches » sociales qui permettent l’émergence d’un paysage social sont plus importantes que les qualités individuelles. Les mouvements d’anti-discrimination, qui commencent avec un poids critique de « non-contents » dans le paysage social existant, dans la mesure qu’il réussit à établir une articulation sociale, passera lui aussi par la case « conservatisme sociale ». L’internationale anarcho-syndicaliste deviendra l’URSS de Staline.

L’essentiel, le processus d’assemblage d’un corps cohérent social, est de nature impermanente, instable – ce qui explique aussi la résistance, par les pouvoirs séants, contre la nouveauté – qui les menace dans leur pouvoir.