samedi 22 mai 2021
Je n’y crois pas trop à la vérité.
Pour que la contre-vérité existe, il faut une vérité de référence. Le problème commence là.
Les rêves, c’est notre manière d’arranger les choses – de les rendre cohérentes. Ont-ils une trame, un cadre ? Est-ce cohérent ?
Dans un rêve, ce que les « créatifs » appellent un imaginaire, même une fiction, on suspend la non-croyance, on accepte le cadre logique, on rentre dans l’histoire, comme Alice au pays de merveilles. La plausibilité ou vérisimilitude de l’histoire est une fonction de l’intégration histoire-cadre d’histoire, aussi bien que de nos aspirations – et nos déceptions.
Dans les rêves on intègre les événements du jour – on leur attribue un sens, ou plusieurs – un peu comme « essayer des vêtements », on les revêt, les rêves. On peut imaginer que le « vrai » est comme un revêtement qui « va comme un gant » à une expérience, qui permet son assimilation.
Et donc on est bien loin du vrai, pour dire vrai. Le besoin de référence extérieure, par exemple une photo, un témoignage, témoignent de cette incertitude ressentie du vrai. On a besoin du vrai … mais à chacun sa vérité – les critères varient dramatiquement. Une copine, spécialiste du sujet, à l’époque grecque classique, m’a dit que le vrai, c’est ce que dit l’oracle de Delphes – à nous de chercher le comment, si cela paraît contrefactuel.
Avec la vérité émotionnelle, le tissu de nos vies se densifie, mais confirme l’hypothèse – la vérité n’est pas ce qu’elle paraît être. Comme je l’ai dit ailleurs, l’amour, son intensité, en font un bon candidat à la vérité absolue – on y croit, profondément et on est d’autant plus déçu par la trahison de cet édifice sur lequel se construit, pour beaucoup d’entre nous, la vie. Certains opposent, pour autant, la vérité des émotions – subjective, à la vérité des objets. Mais qu’est-ce qui se passe si l’émergence de la vérité dite objective dépend de la vérité subjective ? Réponse : la tendance. On essaie de prédire l’issu objectif par une étude logique, ou encore mieux une étude chiffrée. La preuve ! La preuve s’exprime en termes de probabilité, comme si ce probable serait plus vrai que l’improbable.
Le problème avec cette manière d'aborder la question est déjà que l’histoire et l’évolution sont faites d’exceptions, une mutation est toujours non-anticipée dans sa spécificité et c’est parce qu’on n’a pas anticipé un événement qu’il nous prend au dépourvu et peut transformer nos vies de manière inattendue. C’est pour cela que les tendances sont des mauvaises conseillères, et que plus on choisit de calculer ses actes de manière raisonnable, selon les tendances, plus le non-anticipé risque de prendre l’ascendant, si ce n’est que parce que nous n’avons plus de plan pour le canaliser. Les cauchemars indiquent la vérité de cette supposition, nos cerveaux, non-contents de la route lisse et prévisible, nous mettent des bâtons dans les roues, nous rappellent … au désordre.
Les rêves et les cauchemars éveillés donnent une autre indice de cette … vérité … Être dans le pouvoir d’un autre, impuissant devant une situation qui se déroule malgré sa meilleure volonté, ce sont des exemples de l’imbrication de sa propre vie dans la vie d’autrui. La « dominance » de la situation, c’est l’une des portes de sortie de ce problème. N’est-ce pas que la meilleure manière de prédire l’avenir est de tenter de la créer ?
Si j’ai préfacé toutes ces vérités alambiquées par le constat que « Je n’y crois pas trop à la vérité », j’avoue que c’était ma contre-vérité. J’y crois. L’oracle de Delphes ne compte pour rien dans mon monde, j’y crois à l’amour et à la vérité raisonnée, observable. Ce sont les moyens d’y arriver qui sont incertains et il faut rajouter que du fait que les cadres varient, selon nos points de référence, plusieurs vérités peuvent coexister, de manière tangible, si elles ne se contredisent pas. La vérité existe donc, cette existence est à ne pas confondre avec nos moyens de l’appréhender.
Par voie d’exemple, prenons l’éruption non-anticipée d‘un volcan près d’une grande ville, imaginons une flue pyroclastique qui se déclenche. Nous pouvons supposer que plusieurs vérités amoureuses sont détruites, d’un instant à l’autre. Pour compléter le tableau, imaginons un effet sismique d’intelligence collective qui, ayant accumulée un certain poids critique, nous fait basculer d’un monde industriel, fait de tendances et d’inévitabilisme, à un monde totalement transformé en amour, en êtres vivants qui vibrent d’espoir renouvelé. Ici je ne parle pas d’optimisme ni de pessimisme, sinon du développement d’une conviction bien fondée, qui a un certain moment critique déborde.
Ce genre d’enjeu est omniprésent actuellement. La conjecture de l’espoir est en ce moment déprécié, coincé entre deux anticipations (rêves d’avenir, vérités possibles), d’un côté le besoin de la part des humanistes de nous faire peur de ce qui adviendra si nous continuons comme ça, de l’autre, le besoin de tuer l’espoir dans l’œuf pour ne pas obnubiler les espoirs rêvés de ceux qui sont attrapés dans les rêves d‘avenir du passé. Comme un amant qui refuse d’accepter qu’on l’a quitté, qui tuera son amour plutôt que reconnaître qu’il n’a plus lieu d’être.
La vérité est donc une histoire subjective, pour nous, elle est en interface avec la réalité, pour cela que les deux mots distincts existent. La fiction, de manière assez ironique finalement, est toujours moins « inventive », moins « créative » que la réalité, même si elle peut servir à créer le réel.
L’idée que les humains et par extension la vie en général dépassent l’intelligence artificielle et les machines – qu’ils ne peuvent jamais s’assimiler au pur mécanique, est plutôt mis en doute par cette dernière observation, si notre créativité, notre inventivité ne peuvent jamais surpasser l’incongruité – la non-anticipation - du réel. De se réfugier, comme il est actuellement conventionnel de le faire, dans une sorte de « biopic » du réel, fait de tendances – on pense au Big Bang et à l’expansion de l’univers – n’est pas plus une vérité surplombante qu’une autre.
La vérité scientifique n’affirme pas cette vérité-là, non plus, elle présuppose que la dernière vérité n’obtiendra que jusqu’à ce qu’elle soit remplacée par une autre, consonante avec les faits observés. Par voie d’exemple, la théorie du Big Bang n’est aucunement une vérité universelle, il lui manque l’avant, l’après, et la raison d’être de l’ensemble. Ce sont des lacunes majeures. Même cette vérité « universelle » ne donne qu’une partie de la vérité de l’ensemble, et ceci par commun accord. Elle ne donne pas carte blanche à toute croyance, surtout aux croyances aveuglantes, elle ne donne qu'une indice, peut-être trompeuse, du chemin à parcourir encore.
De dire que des êtres conçus par nous ne peuvent pas développer, de manière émergente, des réalités qui dépassent leurs créateurs, est comme dire que nos enfants, engendrés par nous, de nous, n’ont pas leur existence et leur expérience propre. Toutes deux, elles nous échappent, en tous cas. La vérité est « hors de nous », hors notre contrôle réelle, d’autant moins « vraie » que nous cherchons à l’imposer. Ceci malgré le constat que la meilleure manière de prédire l’avenir et de tenter de l’exécuter – ceci est finalement peu de chose. Quel est la valeur de ces concepts ? Sont-elles « vraies » ?
Jusqu’à preuve du contraire, elles sont plus « vraies » que les vérités personnelles de tout un chacun, parce que, justement, elles admettent la preuve – la boucle de rétro-action avec le réel – ce que ne permet pas l’oracle de Delphes. Et la preuve du réel, c’est une rude épreuve – pour ceux qui se limitent à leurs réalités quotidiennes, et considèrent que tout ce qui les dépasse n’est que de la philosophie sans utilité.
Objectivement, le subjectif est d’importance critique, pour nous tous. Les rêves ont leur fonction – et comment ! Que cette fonctionnalité a ses limites ne l’élimine pas. Que les machines pourraient un jour avoir leur propre subjectivité n’amoindrit pas, en principe, la nôtre – surtout pas en ce qui nous concerne, collectivement et parfois en tant qu’êtres singuliers. Que nos émotions et nos expériences fassent partie de notre vérité n’invalide pas l’existence de cette vérité – ce sont des moyens d’y accéder. Même une machine serait d’accord avec ce constat, j’ose espérer.
Voilà, je vis dans l’espoir que cette tracte pro-vérité(s) est restée strictement dans les bornes de la vérité argumentée, sans aucune trace de mysticisme ni d’exaltation. La pensée n’est jamais propre, mais on essaie, quand même. J’hésite à le souligner, des explications jusqu’à l’épuisement peuvent être ennuyeuses, mais malgré ma non-éducation joyeuse à la philosophie, j’espère avoir expliqué pourquoi émotion et raison marchent ensemble – qu’il n’y a pas de nécessité d’exclusion de l’une par l’autre. La vérité, dans la mesure qu’elle sert de cible, s’enrichit de rêves, qui ne sont que des amalgames d’émotion et d’argumentation raisonnée – de conceptualisation. Il n’y a aucune distinction, dans ce sens, entre les rêves éveillés et tout autre rêve qui nous survient, d’où qu’il vient. Ce qui serait dévastateur pour toutes nos vérités, à vrai dire, ce serait l’absence de rêves.