jeudi 18 mars 2021
Il a été mentionné à la radio il y a peu que la vie est symbiotique. C'est-à-dire que forcément, il y a complémentarité, que tout se fait en recyclage, en boucle fermée. L'être humain sort de cette boucle fermée parce qu'il crée des déchets non ou peu recyclables. Mais dans l'état normal de la vie, les minéraux sont ingérés par les plantes, qui poussent. Les plantes sont mangées par les herbivores. Les herbivores sont mangés par des prédateurs qui, lorsqu'ils meurent, reviennent à la terre pour être ré-ingérés par les plantes.
Bien sûr il y a plusieurs types de cycles entrelacés et ce n'est qu'un modèle simplifié pour pouvoir discuter des mécanismes à l'œuvre. D'autant plus que le cycle n'est pas vraiment fermée – l'énergie apportée par le soleil est le carburant à l'origine du système, mais mettons à part ces quelques réserves ...
Tout dernièrement j'ai réagi très mal à une observation, pour moi idiote, que le vivant n'est que « la physique un peu complexe» - qu'il n'y a pas d'âme dans l'équation. J'ai répondu:
«La nature vivante, apprenante, enthousiaste, lasse, émotive, résignée, n'a pas besoin d'état d'âme ?!
Si la science [des dernières 50 années] nous a appris une seule chose, c'est qu'il y a de très, très bonnes raisons pour comprendre que le vivant n'est aucunement juste une question «de la physique un peu complexe» et que la motivation y compte surtout.»
Une note d'explication. J'avais en tête, bien sûr, que la motivation et ce que nous appelons les émotions et l'instinct forment nos passages à l'acte – au physiquement mesurable – mais cette connaissance-là ne date pas des dernières cinquante années.
C'est notre compréhension de l'émergence, des boucles de retro-action et d'interaction qui se basent sur des facteurs émergents, dans le sens d'être non-anticipés et non-anticipables, qui fait que le vivant ne peut pas se réduire – scientifiquement - à «la physique un peu complexe». La méthode mécaniste, déterministe selon des lois physiques prédéterminées, n'est plus appropriée – que cette physique soit Newtonienne, Einsteinienne ou quantique.
Ce qui vie s'échappe, bien que ce soit peu, des lois de la physique – c'est son modus operandi, sa manière de fonctionner. Une boucle de retro-action se ferme sur elle-même, a des rapports choisis avec le monde physique qui se trouve en dehors de sa cohérence bouclée. Sa volonté d'interaction devient clé.
Dans la lumière de cette observation, on peut identifier une autre erreur, de notre époque cette fois-ci, qui est de supposer que le cumul de savoir culturel transmis de génération en génération distingue l'espèce humaine de toute autre être vivant, dans le sens qu'il devient lui-même le premier déterminant évolutif.
Je ne nie pas que c'est ce que nous faisons, je nie que cela nous met dans une classe à part. L'émergence, dans le vivant, va ensemble avec la reproduction. Prenons mil graines. S'il en germe une seule, c'est bon, le pari est réussi. C'est une singularité, à chaque reprise. C'est comme mille clés USB de plusieurs gigaoctets d'information, contenu dans un rien du tout – un grain de sable. Ce grain a déjà pré-décidé ses termes d'engagement avec le monde qu'il rencontre – mais ces termes sont flexibles.
On peut bien sûr faire toute sorte d'observation quantitative et statistique sur le taux de réussite – de fertilité, etc., mais on a tort de le faire. La vie a choisi de se reproduire en utilisant des milliers et des million et plus d'exemplaires avec des possibilités infinies d'interactivité autonome, justement pour faire fi à ces analyses.
Je me rappelle qu'à la naissance de l'étude détaillée physique de l'ADN (années 1980-90) on avait tendance à étiqueter la plupart de notre ADN apparemment non-actif comme «junk» - bidon, sans intérêt. On a bien changé d'avis depuis. Ensuite il a fallu bien de preuves scientifiques bien convaincantes pour reconnaître l'existence de l'épigénétique – le changement de l'expression des mêmes gènes selon des «mémoires» inter-générationnelles. Le protéome – notre héritage en termes de protéines complexes, est encore discuté – c'est un vaste sujet. L'aspect mitochondrial de notre héritage mène à son aspect viral, à la biote bactérienne dans nos estomacs, au fait que la cohérence de chacun d'entre nous n'est pas, pas du tout discrète.
La «culture» des êtres vivants est donc de plus en plus vue sous une angle d'interactivité dynamique et multifactorielle. Gardons-nous de lui imposer une camisole d'analyse statistique, physique, essentialiste, alors que nous ne sommes qu'au tout début d'une connaissance approfondie de sa mode d'opération. Je n'ose même pas dire «son mécanisme» - ce serait de la sur-simplification.
A la lumière de cette analyse, on peut cependant permettre quelques observations sur les mécanismes de l'humain. Il croit bien de se mettre ensemble avec d'autres gens pour décider de ce qui est vrai, de ce qui est praticable. Il utilise des traditions de pensée existantes pour ce faire. Il est très influençable socialement lorsqu'il décide d'agir.
Il me passe par la tête que c'est à cause de ces caractéristiques humains connues que les gens s'inventent souvent des pensées insaisissables par la logique – parce que la logique a toujours son cadre et son cadre n'est pas toujours raisonnable. C'est le cas par rapport à la symbiose – le vivre ensemble de manière mutuellement bénéfique.
L'erreur de fond physique dans notre analyse du vivre ensemble est que notre cadre d'analyse est statique, alors que la vie, étant matérielle et partout et en interaction auto-motivée, ne correspond pas à un modèle statique d'analyse. Les grandes nations de millions de personnes, gérées de manière centraliste, exigent une hiérarchie de commande basée sur des modèles statiques, étatistes. Elles exigent donc, qu'on parle tous la même langue par exemple, ou qu'on se réfère tous à l'heure de Paris, par exemple.
Ce genre de modèle statique fait conformer des objets caractérisés schématiquement (nous) à des règles qui les rend traitables. Notre auto-détermination, par rapport au pouvoir décisionnaire, est vastement réduite. Nous ne sommes pas écoutés et nous n'avons pas le pouvoir de lancer des initiatives locales qui ensuite sont acceptées et deviennent généralisées. Au contraire, cela pose problème, parce que incalculable et non-anticipé. Il y a des protocoles pour tout, surtout là où cela commence à sortir des normes. Faire machinalement les choses qu'on nous demande, sans poser de problèmes, est bien vu.
Mais un modèle dynamique requiert un relâchement du pouvoir central de décision. Par exemple, il fait que les impôts soient, dans leur vaste majorité, mis en usage direct au niveau local, transférés horizontalement entre régions en cas de déséquilibre – l'économie est moins monétisée, plus matérielle.
Des modèles dynamiques accommodent la précarité, l'instabilité, l'ajustement, sont consensuels, par intérêt mutuel.
Dans des modèles dynamiques il se passe quelque chose de bien intéressant. Le messager devient le message – tout comme la graine (le codage) devient la plante. C'est pour dire que le message (l'information) est inséparable de son contenant. Cela peut solutionner des problèmes apparemment insolubles de redistribution – celui qui voyage a intérêt à ce qu'il y ait de quoi s'approvisionner sur son chemin, s'il est en interactivité symbiotique avec le milieu par lequel il passe. Ses hôtes ont toute intérêt à profiter de sa présence, en termes d'information, de transport et de travail, pour compenser les frais de sa présence.
Économiquement, un tel système dépend beaucoup moins de questions de propriété – il s'accommode à ceux qui sont là, plus que ceux qui ont titre, étant absents.
Ce modelage dynamique peut aussi expliquer la persistance des idées de droits humains fondamentaux et universels, les deux premiers étant la liberté de mouvement et d'association (les autres droits sont issus de ces droits de base). Depuis un certain temps les soi-disant pragmatiques ont eu tendance à caractériser ces droits de vœux pieux, d'idéalistes, le droit premier étant vu comme le droit au travail, un «droit» qu'on gagne avec l'argent qui donne son autonomie d'autrui, dans l'économie du marché, dans l'économie tout court.
Mais en fait non. Un modelage dynamique explique notre désir d'autonomie par la raison pragmatique – vaut mieux utiliser «l'ordinateur portable» humain pour décider de son sort en interaction avec son environnement physique et social, que d'essayer de le téléguider de loin. On ne peut pas dire, non plus que le fait que les gens bougent empêche l'action décisionnaire à plus grande échelle, puisqu'en donnant plus de connectivité il est plutôt complémentaire. Ce n'est pas une idéologie du mouvement qui est tenté ici, c'est plutôt une trame explicative sur pourquoi ça doit marcher comme ça, pour nous, êtres humains.
La symbiose est un mot qui décrit assez bien comment ça marche, ce système, qui n'est autre qu'un système émergent qui correspond bien à la nature intrinsèque de la vie. Par exemple, vaut mieux que les vaches connaissent leur chemin de retour des champs, que de les obliger par la force chaque soir de le prendre.
On peut aussi réfléchir à la perturbation de la capacité décisionnaire localisée – in situ – qui résulte de l'introduction de subventions déterminées à un millier de kilomètres de là. C'est très déstabilisant, le pouvoir centralisé, il fait ignorer les besoins criants de ses environs.
Je suis conscient que je suis en train de créer le bilan positif sans trop me pencher sur les aspects négatifs du morcellement du pouvoir. Je le justifie en observant que je place l'emphase sur le mouvement, ce qui est local bouge, il n'est pas sédentaire, il est l'inverse de l'isolement. Il relie ce qui, dans une analyse statique, ne l'est pas, relié. Il permet des ajustements, en équilibre dynamique, qui ne sont plus possibles lorsque chacun, chaque matérialité physique, est traité comme un isolat pour lequel il faut trouver une articulation. Il se le trouve, cette articulation, soi-même.
Paradoxalement, nous vivons dans un monde où, d'apparence, on n'a jamais autant bougé, mais mon hypothèse est que nous bougeons «statiques» - il n'y a à peu près aucune interactivité en bougeant. Si les gens sont tellement en amour avec la vitesse, avec la voiture, avec l'avion, je pense que c'est surtout l'effet de la nouveauté, le sens d'une puissance découverte, et que lorsque nous arrivons à une adaptation culturelle à ce phénomène, nous aurons un tout autre point de vu. C'est comme la boulimie.
Dans les faits, nos moyens de transport et notre milieu artificiel s'accommodent très peu à nos capacités humaines. Nous sommes donc sensoriellement et matériellement appauvries, dans un monde qui s'adapte à nos machines bien plus que nous.
Il faut souligner que l'évolution culturelle qui contribue tellement à notre génome progresse, elle aussi, à une certaine rythme, on peut dire que à l'époque des bolides, il y a cent ans, on faisait encore des courses de vitesse, mais qu'aujourd'hui, on pourrait faire des voitures qui roulent à la vitesse du son, cela n'a plus aucun rapport avec ce que peut accommoder le corps humain – et l'infrastructure routière.
Le principal défi est devenu, en effet, ce que peut supporter le corps et l'esprit humains – l'optimisation de son contexte fonctionnel - l'interface. L'époque de la machine industrielle est bien loin, en termes de l'avancement de notre compréhension culturelle de pointe, mais nos institutions et nos traditions restent encore à cette époque-là. Par exemple, nous sommes pleinement dans le siècle de la bio-ingénierie, mais la plupart de nos scientifiques, de nos intellectuels et surtout de nos administrateurs sont encore mesmérisés par une culture d'ingénierie mécanique et physique. Notre langage ne nous aide pas, il est bourré de concepts mécanistes.
Par exemple, nous pensons incessamment à la synthèse – la reproduction artificielle de phénomènes et de mécanismes qui existent dans la nature, alors que, normalement, nous pourrions tout simplement travailler avec l'existant. La roue n'a pas besoin d'être réinventée, il suffit de constater comment elle «marche». Le mot «symbiose» correspond assez bien à cette description de l'état de notre connaissance – on ne ré-invente pas la bio-diversité, on la défend, de manière très «intéressé», même «économiquement», j'ose dire.
L'efficacité de vis beaucoup plus ambulantes est aussi de s'adresser à nos profiles énergiques sans dépendre de mesures punitives macro-économiques comme le taxe carbone. On s'adresse directement aux «besoins» d'une vie humaine ainsi. L'efficacité énergique de vies sans assistance mécanique carbonisée est telle que la richesse qui sert exclusivement à les obtenir ne manque pas – la vie telle qu'elle est ressentie reste essentiellement au même niveau de bien-être. Il ne faut pas confondre l'abandon de ce qui ne nous est pas nécessaire avec l'abandon de toute technologie. Un rétrécissement de nos besoins réels révélera une surabondance de capacité de l'infrastructure existante pour subvenir à nos besoins. Une société qui a passé autant de temps à accumuler de la richesse matérielle a des gisements de matériaux premiers suffisamment grands déjà stockés pour assurer un transition lisse, à cet égard.
On peut lister quelques catégories de «besoins» qui perdureront. Défense. Santé. Recherche et Culture.
Dans un scenario plutôt pessimiste, les pressions démographiques venant de l'effondrement de nos capacités productives de première nécessité impliquent des fortes probabilités de retranchement et de désordre sociaux. Il est fort probable qu'un changement de système qui correspond aux exigences physiques de l'écologie planétaire déstabilisera profondément le système financier mondial.
Un nouveau système «symbiose», comme celui esquissé ci-dessus, serait d'entre les meilleures manières de s'adapter à de tels défis. Il a la mérite d'être consistent avec la réalité systémique de la planète, en termes sociales humaines, et donc de pouvoir générer de l'adhésion qui dépasse nos frontières – des alliés convaincus.
De se ranger aux côtés des destructeurs – de ceux qui défendent leur richesse et acceptent la probable perte de vie massive dans des pays moins capables de se défendre – a le double désavantage d'être auto-destructif – un effondrement de la vie sur terre ne sera pas à notre bénéfice non plus – et auto-destructif – il se peut que d'autres puissances disputeront le morceau avec nous.
Donc la symbiose, comme système sociale, donne des prospects d'avenir, sans menacer l'élimination d'autres populations pour l'obtenir, il est dans la croissance dans le vrai sens du mot – il est viable.