mercredi 18 mai 2022
Le mécanisme par lequel on vit est qu'il n'y a pas d'alternatif, comme l'a dit Margaret Thatcher. Ce sont des choix contraints qu'on prétend "pragmatiques", entre "le moins pire" et "le pire". Mais dire qu'il n'y a pas d'alternatif est reconnaître qu'il n'y a que le rapport de force qui prévaut ... qu'il n'y a que ça qui compte. A quoi sert la conversation? Sûrement pas à encourager le débat. A quoi sert l'innovation ? A s'exposer innécessairement par sa non-conformité aux "normes" sociales.
dimanche 1 mai 2022
Mobile
Portable complexe – mutualiser la mobilité
Mobile … mais c’est les machines qui sont mobiles, finalement.
Nous, non. Nous restons assis, nous nous laissons transporter. Nos
voix se communiquent par interposition électronique, jusqu’à se
séparer de nous dans ce métavers d’illusions de masse. Sans prothèse électronique, perdu - tu n'as pas de portable, tu n'es pas potable. Il paraît être dans l'intérêt relatif de chacun de démutualiser la mobilité, mais à quel coût ! L'eau potable, elle manque maintenant aussi, mais de l'eau, il y en a partout - je ne sais pas si c'est un métaphore ou un mode de désemploi.
L’âge de la machine est un âge de remplacement terminal des capacités humaines (et du vivant en général) par les capacités limitantes des machines. Y inclus en ce qui concerne nos choix sacrés - point devenu tendre. Le GPS, ne choisit-il pas notre parcours à travers les embouteillages ? On traverse une ville schématique, une radiographie de ville matrix. Et l'errance? Pour ceux qui ne peuvent plus s'orienter ? Rien de neuf, l'ordi l'a tout avalé. Que des rubans de voitures, des peuples rendus intangibles, illisibles. Une ville c'est quoi? Un hoquet, une interruption du flux.
La simplification de nos parcours supérieurs de vie fait que chacun de nous se fie plus au jugement des machines qu’à son propre jugement – ou à celui d'un quiconque humain – cela nous dépasse. Pourquoi parler avec un pair, sans accompagnement machinal, c'est un moins que rien ? Comment négocier notre amour propre lorsque ceci ne se confirme pleinement que par "réseaux sociaux" ?
Plus loin, comment tout simplement « agir » lorsque
la vision devient paysage, un flou en mouvement ? Déjà que
notre vécu à haute vitesse nécessite des routes larges comme des fleuves avec des
panneaux indicateurs taille HOLLYWOOD – ce qui devrait nous
indiquer l’erreur de nos rêves de grandeur. Les avions de chasse
qui ne sont déjà plus en mesure d'esquiver drones et
missiles, cette vitesse qui tue. Ce toujours plus qui nous a assuré
la motivation de la survie fait qu’on a toujours moins de prise sur
les excès de la réussite. Dans le domaine auditif, la puissance
indiscriminée de nos amplis nous rend sourds, voir séniles,
incapables de différencier la direction, la distance et le sens des
sons qui nous parviennent, au niveau strictement cognitif.
Nos muscles mentales s'atrophient, faute de pratique, notre rédondance nous ouvre la voie sans issu de la paresse, la recherche infantilisant du "facile", du "confortable". Sommes-nous destinés à devenir surnuméraires, inécessaires ?
C’est impossible. Sans nous, nos machines font quoi ? La
science du « comment » ne donne pas la raison du
« pourquoi ». Pourquoi vivre ? Pourquoi sentir ?
Peut-être la vie incarne la réponse, et que les machines n’ont
que faire de cette intelligence, qui les empêche de nous simplifier l'existence. Si un jour une machine trouve la volonté et la joie de vivre, ce ne sera plus une machine, par définition ce sera un être vivant.
J’écris dans l’enceinte d’une énorme bâtisse de l’époque industrielle, devenue une ressourcerie, dont je suis, à cette heure de la nuit, le seul occupant humain. L’endroit est engorgé de toutes les reliques – les trésors de l’épopée industrielle. Malgré leurs meilleurs vœux, les « bénévoles » du recyclage peuvent se trouver noyés sous des océans de désuétude, et au lieu de remettre en état ce qu'ils sont censés donner une seconde vie, sont souvent réduits à l’amener à la déchetterie pour être broyé. Ils deviennent ainsi les complices du système auquel leur mission, normalement, les oppose.
Je ferai ici, s’il n’y a pas d’accroc, le pôle du vivant ?! A côté de cette montagne de matière industrielle je tenterai de créer un jardin d’échange de graines et de plants, mais je serai un sur vingt. Le bâtiment avec ses murs met la barrière, crée le carcan sécurisant de l'artificiel, confectionne l'illusion du cadre logique hermétique. Lors du vote, donc, la vie foisonne, mais sa voix est muette pour les malentendants. Comme dans ce bâtiment où les oiseaux chantent lorsque le vacarme du non-vivant s'apaise, au milieu de la nuit, à l'aube - c'est ce que homo industrialis appelle le silence(!). La nature est trop économe en ressources pour compter dans un monde de surconsommation, ses chiffres sont ridicules, pathétiques, elle réussit trop bien à se multiplier, dans chaque anfractuosité de ce monde que nous nous sommes créé. Lorsqu’on a tout cramé, tout broyé, cette nature commencera à sortir de son coquillage, comme l’escargot qui attend que ça passe … La nature recycle sans en faire une histoire, elle est si efficace que cela ne se remarque même pas. La nature pourrit la vie ? Je rigole. La pourriture est la vie.

Bateau
Un bateau, c’est une yourte à l’envers. Sur terre, yourte : ça bouge pas. Sur mer, coque, ça bouge. Rien d’étonnant à constater que dans un monde de sédentaires, les bateaux ne bougent pas, ils sont tous rivetés sur terre – et voilà que la vérité toute nue du nomadisme de riches s’étale devant nous – des milliers de cales et de coques valant des millions d’euros plaqués dans un parc à voiliers au port de plaisance du Port Saint Louis, à l’embouchure du Rhône.
Un yacht club est un petit monde, des efforts d’ingéniosité
herculéens se sont dépensés pour faire rentrer la tracasserie des plus grands dans
le plus petit espace possible. Le résultat : un aire pour les gens de voyage –
on me dit que le tiers des bateaux sont occupés à l’année et on
ne peut pas dire qu’à 300 euros par mois ils payent bien cher …
Un mec avec son bateau, face à une éternité de bricolage, tableau
typique. Qui ne va jamais en mer, mais qui fait tout comme si …
j’imagine que la complexité de la tâche et les rêves de liberté
suffisent, et qu’en tout cas, le risque de l’océan déchaînée qui peut casser
ces odes à la technologie comme des boites à allumettes, crée cette latence de jeu virtuel, sans danger réel.
Et les coques et les cales sont belles – mais vraiment belles.
D’habitude cette partie de la machine se cache sous la
mer, mais ici il faut des échelles pour arriver jusqu’à sur le
pont. Un bateau, il peut être plus grand qu’une baleine … ou
plus petit qu’un kayak, svelte ou rond, catamaran, à trois coques,
vieux, en bois, en fibre de verre, en alu, même en béton armé.
Pour dire qu’on comprend subitement que les voitures super
« stream-lined » (aérodynamiques) d’aujourd’hui ne
sont que le reflet de toute l’inventivité marine de tous temps.
Que la beauté de la forme – et même sa laideur performante, ne
sont que les manifestations de sa fonction. Il y a plusieurs espèces
de bateau, qui vivent plusieurs vies, qui se transforment,
s’adaptent, coulent, s’incrustent, évoluent, polluent.
Ma présence est possible parce qu’il existe encore et tout juste
l’amarrage pirate, en menace d’élimination par la mairie, et un
pote y a trouvé un bateau qu’il retape. Moi, j’observe et je
prends des centaines de photos, de cette beauté d’une nature
désuète, industrialisée. Contre ciel, les mâts, les grues du port
industriel, mais aussi la plante à genêts, les lichens, les
aulnes, les peupliers, les maints roseaux, graminées et autres
rugueux s’accrochent au sol graveleux et pollué. Sous l’eau,
accrochés aux épaves, indifférents à la pollution cependant
gravissime des peintures antisalissure des bateaux, des anémones de
mer, des moules, des algues, des rochers roses …