dimanche 20 juin 2021
Il faut que je sois un peu franc.
Face à la bien-pensance, j’espère de tout mon cœur qu’un genre de 1968, mais mille fois plus, fasse éruption en Europe, nous en avons grave besoin.
Trop est trop. Soyez sympas et charmants, et vos messages sur la fin du monde – et comment l’éviter, peuvent être acceptés par le peuple (sous-entendu « le peuple mouton »). La gentillesse vaut de l’or. Etc., etc.
Et si vous ne l’êtes pas, vous allez être mis au ban de la société, humiliés à répétition, stigmatisés d’extrême droite, d’extrême gauche ou d’anarchiste, jusqu’à ce que vous mourrez de stress, de mépris et d’exclusion. On le constate, personne ne le dit directement. Ils sont sympas. Ils sont équilibrés. Ils ont du fric, parce qu’ils ont réussi, parce qu’ils ont fait comme il faut, parce qu’on les aime pour cela. Vous comprenez en fin que si vous proposez des projets purement cosmétiques qui ne vont rien changer dans le fond, et surtout pas à temps, vous serez reçus à bras ouverts. Que tout le monde prétend qu’ils attendent que ça change, pour ne rien perdre eux, dans l’affaire, pour pouvoir dire qu’eux, ils ont toujours été favorables à ce genre de changement.
Tout cela je le sais parce que je le vis, je n’invente rien. Ce n’est pas très subtile, en plus. Lorsque quelqu’un qui a un salaire de 2000 euros par mois parce qu’il a un bon boulot de fonctionnaire à vie vous dit « Je suis désolé, je ne peux pas vous aider, je suis débordé de travail et j’ai des cas beaucoup plus importants », alors que vous avez pu survivre, tout juste, sur 25 euros pendant six semaines et vous ne demandez qu’à utiliser le téléphone parce que vous n’en avez pas, de téléphone, pour chercher du boulot, ou pour aider les gens, vous prenez la mesure du défi. Ce n’est même pas la peine de demander.
C’est le jour des élections. On se demande si pour ces élections on n’aura pas le taux de vote le plus bas jamais. On prétend donner des raisons, les gens sont désabusés de la politique, etc., etc., il faut leur « expliquer » pourquoi ils ont tort. Et s’ils n’avaient pas tort ? Lorsqu’on va à une mairie à la campagne et on écoute ce que font ses fonctionnaires, savez-vous ce qu’ils font, la plupart du temps ? Que de la bureaucratie au service des riches. Le cadastre. Les propriétaires. L’embellissement de la mairie. Les panneaux indicateurs pour les familles avec enfants. L’entretien des routes pour ceux qui ont des voitures et de l’argent à brûler. Le soutien des fonctionnaires avec des bonnes retraites. L’exclusion des pauvres. C’est pareil à presque chaque échelle.
Par exemple on a donné d’énormes subventions pendant cette crise covide, surtout aux riches et à ceux qui avaient au moins de quoi vivre déjà. On l’a dit en plus – c’était pour pomper la consommation. Le problème a été qu’ils sont devenus tellement riches qu’ils ont trop épargné, étant coupé de leurs lieux de dépense plus que d’habitude. Cet argent a permis à beaucoup d’entreprises qui auraient fait faillite en temps normal de ne pas faire faillite (c’est-à-dire que leur situation a amélioré, alors qu’ils étaient souvent en quasi chômage technique – qu’ils ne travaillaient guère et n’avaient guère de frais de travail, qu’ils ne dépensaient donc pas). Parfois des très grandes entreprises, comme Airbus ou SNCF, qui ont des salaires, même les plus bas, au-dessus de la moyenne nationale, de 20 000, 30 000 euros par an. Nous avons observé à maints reprises que la crise a accentué de beaucoup le gouffre entre riches et pauvres, c’est indisputable.
Mais dans ce cas qui en a été le plus responsable ? Ce sont les autorités publiques – mais les autorités publiques, c’est une grande partie d’entre nous aussi. Tous les petits boulots en temps normal dans le tourisme, la restauration, etc., semi-illégaux ou illégaux, ont disparus. Il ne faut pas croire non plus qu’avant, les autorités publiques n’en étaient pas conscients – l’économie de la France dépend de tous ces petits boulots au noir et de l’économie non-payé en argent. Combien de petits restaurateurs pensent bien faire à donner une petite chambre à quelqu’un de sous-payé au noir à temps partiel, sans aucun droit ?
Et maintenant on demande aux gens de voter pour cela ? De voter pour des gouvernants qui tout en protestant que c’est tellement injuste, en sont eux-mêmes responsables ? Ce pays est tellement riche qu’on a besoin de 25 fois moins, même 100 fois moins que le salaire minimum pour survivre maintenant. C’est-à-dire qu’on a besoin de travailler bien moins d’un jour par mois au salaire minimum pour survivre. Rien à voir avec le « il ne faut pas un différentiel de pas plus de 20 fois entre le mieux payé et le moins bien payé dans une entreprise », que l’on demande pour ceux qui ont du boulot. Si on réduit les besoins humains à « de quoi manger et où dormir au sec », on a besoin de moins d’un euro par jour.
Juste pour donner un exemple de l’écart avec la réalité qu’on a ici, j’ai entendu à la radio ce matin qu’il y a des « réfugiés économiques » qui affluent en Colombie de Venezuela en ce moment parce que le salaire mensuel minimum à Venezuela, 20 000 pesos, ce qui équivaut à 5 euros, ne permet pas de vivre. Sans doute avec 30 euros par mois ils se sentiraient dans la terre de cocagne. Trente kilos total d’un mélange de riz, de blé et de lentilles par mois ! Merveilleux ! On pourrait même s’offrir un litre d’huile et du sel avec cela – du grand luxe !
De nouveau, je le sais. J’ai vécu au Pérou pendant sa guerre civile, à ce moment-là il était classé le pays le plus pauvre du monde (1989). Les populations déplacées par la guerre – la moitié de la population du Pérou – étaient maintenues en vie par des sacs de riz venant des États Unis. On pouvait reconnaître les gens qui dépendaient de cette « manne », ils avaient l’air un peu gras parce que malades de malnutrition, tellement ils devaient manger du riz pour en sortir des nutriments. Une soupe de pattes de poule était le grand luxe. L’effet de cette « aide internationale » était de complètement miner l’économie locale de production de graminées, de fruits et de légumes, puisque si les gens se sont déplacés de la campagne, c’était à cause de la terreur de la guerre venant des deux côtés, gouvernemental et terroriste, les principales grandes villes étaient dans les déserts, les bidonvilles des réfugiés illégales et sans provision pour se faire pousser des légumes.
Pourquoi en France est-ce que nous devons subir de l’aide alimentaire de qualité terrible et anti-écologique, alors que nous sommes des jardiniers compétents et prêts à travailler, et qu’il y a une abondance de terres sous-utilisées ou non-utilisées ? Pourquoi est-ce que les autorités locales et nationales n’ont pas affiché, haut et clair, qu’ils faisaient de cela leur affaire ? De nouveau, il est très difficile de disputer les faits. Pendant que la misère s’accentue, le débat « politique » et « médiatique » tourne autour du problème de faire venir une nouvelle génération d’agriculteurs, du fait que le foncier coûte trop cher.
Une seule exploitation de trente hectares pourrait donne en jardins de quoi nourrir et héberger une centaine de familles. Sans aucun intrant chimique ou industriel, elles ne pourraient guère faire pire qu’une ferme industrielle typique, même en « bio » – au niveau de leur contribution à la biodiversité et aux gazes à effet de serre.
Qu’est-ce qui empêche cela de devenir réalité ? La réponse est que le gouvernement, n’importe quelle gouvernement, fait tout, au niveau législatif, des subventions sélectives, au niveau de la violence directe et indirecte des fonctionnaires, pour que cela n’ait pas lieu. On parle des « lobbies industriels » - de nouveau pour ne pas parler de « nous ». A chaque échelle, chaque propriétaire fait tout pour que son grand lopin de terre ne soit pas converti en petites parcelles de terre – il préfère de loin les laisser à la friche et appeler ça « la nature ». Si presque toutes les interventions sur le terrain sont faites avec des machines, et la voiture privée prédomine en campagne, c’est parce que ses habitants sont riches. Ce n’est pas compliqué. Ils se mettent à faire grève, ou « gilet jaune », dès que leurs salaires tombent en dessous de vingt fois ce qu’il faut pour survivre.
Chiffres. On survit à 1 euro par jour – 30 euros par mois – 360 euros par an. On peut – à peine – entretenir une voiture sur la route en campagne, payer un loyer à la campagne et acheter de quoi manger avec 10 000 euros. En réalité, donc, les plus pauvres s’endettent, ont des voitures illégales, glanent du bois, essaient de faire pousser des légumes et dépendent en partie de l’aide alimentaire pour survivre tout juste. Plus ils vivent en illégalité, plus cela devient faisable – ils n’ont souvent même pas le droit de vote, là où ils se trouvent.
C’est pour cela qu’il y a très peu de pauvres à la campagne et que c’est un terroir de riches. Du fait que les aides de l’état ciblent de plus en plus certains groupes de la population de manière préférentielle et que cela coïncide avec les intérêts des riches à la campagne, certains secteurs sont en croissance économique, malgré leur apparente pauvreté ! Ce sont principalement les familles avec enfants qui bénéficient des aides et qui permettent de maintenir ouvertes les écoles et les services qui desservent ces familles, pour compenser le fait que les riches sont massivement des seniors. Pas tous bien sûr, et l’aide à la personne, à domicile, les colonies de vacances, pour les enfants des grandes villes, les EHPADs, la cuisine collective, etc., sont aussi en croissance actuellement. J’ai bien dit que l’ingénierie social de la campagne se fait par secteur.
Il n’est donc pas étonnant que les populations rurales votent de plus en plus à droite. Les populations qui s’y trouvent sont riches ou dépendent des politiques qui favorisent les riches. L’un des seuls secteurs productifs en croissance à la campagne, c’est la bétonisation, pardon, la construction. Ceci, de nouveau, parce qu’on a évolué des codes de permis de construire réglementaire qui rendent impossible la construction d’habitat simple, léger et durable qui emploie un minimum d’énergie et de transport – ça coûte trop peu cher et n’aide pas à « la consommation ». Ceci, de nouveau, favorise massivement ceux qui ont assez d’argent pour se fabriquer des « maisons normandes » et ceux qui travaillent dans la construction de ces maisons. Plus ils travaillent industriellement, plus ils gagnent pour eux, moins il y a du travail pour tout le monde. Des vrais pauvres en campagne ? Cela pourrait faire concurrence à ceux qui n’ont que l’ambition de devenir riches.
C’est aussi pour cette raison que les moins enclins à voter des politiques vraiment écologiques – et à gauche en général – on l’a vu avec la vote écologique gagnante dans les grandes ville seulement, au tout début de la crise covide, sont ceux qui vivent à la campagne. Un, ce n’est pas du tout dans les intérêts de ceux qui habitent à la campagne actuellement. Deux, ceux qui se prétendent écolos à la campagne mais qui en réalité dépendent de la voiture, sont des anciens bourgeois de classe moyenne ou artisanale, des agriculteurs industriels ou semi-industriels et des constructeurs industriels dépendant des riches. Ils mènent des trains de vie anti-écologiques, ce qui les mène à voter à peine au centre « mou », sinon carrément à droite.
Oui, il y a une vote de protestation, mais cette vote de protestation ira plutôt à la France Insoumise qu’aux écologistes, du fait que les « France Insoumises » sont plus pro-industriels. Même les écolos en campagne ne sont pas, à vrai dire écologiques. On pourrait dire que tous les partis politiques actuels en France sont de droite et anti-écologiques, dans le sens qu’ils savent très bien que tout le monde ne peut pas être riche, mais ne cherchent qu’à proposer d’enrichir les gens. Qui va être pauvre donc ? Pas ici en tous cas est la réponse des soi-disant partis politiques de gauche, actuellement. Non, on préfère proposer de faire sortir de la pauvreté les pauvres, en leur faisant gagner plus d’argent, en leur faisant alimenter la machine. J’ai utilisé l’exemple de la préférence donné à la charité au plus démunis, en défaveur de la dignité du travail, pour illustrer ce point. En peut dire que même s’il y a des « bon gars » à gauche dans la politique conventionnelle, ils ne peuvent pas le dire, parce qu’ils doivent duper les classes moyennes qui votent plutôt que de parler vrai aux pauvres, s’ils veulent du tout, du tout se faire élire.
Et en on a marre de se faire traiter d’extrême gauche alors qu’on n’est que modéré, contre une élite tellement égoïste, en réalité, qu’elle est devenue extrémiste et à la limite de la rationalité. Ça va pas la tête ?
Il y a une bonne chose qui pourrait émerger de cette hypocrisie collective, qui est une vraie solidarité d’expérience et de condition entre les classes les plus pauvres en France et dans les pays très pauvres, non seulement dans les populations d’immigrants en France, mais dans la population générale. J’ose même espérer que des bons gens qui ne sont pas pauvres pourraient être solidaires, même si cela va contre leurs intérêts.
L’exemple du Pérou est de nouveau intéressant, on attend en ce moment de voir si les militaires et les élites d’origine étrangère vont permettre au président élu de gauche de prendre office, contre sa rivale, d’extrême droite, la fille du Président Fujimori (je viens de rajouter ce nom propre au dictionnaire, on m’a proposé « fumoir »). Ce Fujimori, d’origine japonaise, est connu pour son extrême corruption et violation des droits humains. Ceux qui suivent un peu l’histoire moderne du Pérou sauront qu’on vote, si on a le choix, plutôt centre-gauche au Pérou et que même le dernier régime militaire des années 1970 était de gauche. On ne savait même pas que Fujimori était de droite quand il était élu pour la première fois au début des années 1990, contre Vargas Llosa, le romancier qui a gagné le prix Nobel de littérature, qui lui s’était déclaré de droite … maladroitement, mais honnêtement. L’astuce de Fujimori a été de se faire photographier sur un tracteur. Avant, il avait été président d’université. On ne peut pas en vouloir aux gens qui avaient voté pour lui d’être des « moutons », ils n’étaient tout simplement pas informés.
Par contre, en France, … il faut vraiment qu’on arrive à faire autre chose que se fondre dans un tissu de mensonges et d’anomalies. La première chose à faire est d’« autoriser » qu’on dise, haut et clair, les vérités désagréables sur ce qui se passe, là où c’est devenu totalement incohérent. Je dis « autoriser » dans le sens de lancer des projets et donner beaucoup de publicité à ces projets via leurs porte-paroles, par exemple. Chercher plutôt que chercher à supprimer les voix non-consensuels là-dessus. C’est justement à gauche hors-parti qu’on va les trouver, donc on peut arrêter de stigmatiser toute vraie opposition politique comme étant d’extrême droite. Au lieu de critiquer les gens « hors-système » pour leur supposé incompétence ou marginalisation sociale, on devrait plutôt demander de les servir, dans les tâches administratives. Il est un peu évident que ceux qui ont des valeurs humanistes ne sont pas contre la société, mais pour. Par contre, ceux qui se fient surtout à l’argent et à l’usage des machines, ils sont quoi ?