mercredi 28 avril 2021

Jardinage : pratiques
bassin du haut

La biodiversité est normalement un produit du jardinage. Les bassins, les écoulements d’eau et les différents terreaux qui accommodent les différents espèces de plante, élargissent la gamme de niches écologiques et augmentent la biomasse.

Les facteurs délimitants, ce sont ces mêmes espèces qui fréquentent le lieu – des herbivores, comme le chevreuil ou la chèvre, peuvent dévaster la biodiversité d’un lieu.

Pour cela, l’attitude et les préceptes des êtres humains vont être déterminants – clôture ou pas clôture ? Haie ou pas haie ? Il est vrai que si on laisse faire la nature, elle va à la longue établir ses propres équilibres – au cours des décennies et des centaines d’années, des arbres tomberont, ouvrant des clairières, créant des endroits humides et des accidents de terrain.

Cela n’empêche pas l’être humain d’essayer de faire l’équivalent, à son échelle de temps. Au contraire, dans la présence humaine, il est de notre devoir d’assurer la préservation et l’encouragement de la biodiversité. Si l'on vit dans l'anthropocène, c'est-à-dire l'ère où l'influence humaine s'imprime sur la géologie du monde plus fortement que toute autre chose, l'un des aspects est que son échelle de temps s'y imprime, aussi. Dans la mesure que son influence prévaut, le temps (géologique) se comprime et s'accélère - un peu comme si on était un grand météorite qui frappait la terre. Ici-bas, j’essaie de donner quelques indices – quelques règles d’or, pour faciliter l’analyse de ce processus. Mais commençons avec une citation.

François Terrasson : La Peur de la Nature (2012)

Les haies autour des parcelles, caractéristiques du bocage, seront des clôtures utiles, des coupe-vent, des pourvoyeuses de bois de chauffage et de piquets, voir de fruits sauvages.

Ou bien des pieuvres conquérantes lançant leurs ronces à l’assaut de la civilisation qui a le devoir de s’en défendre. La vision tentaculaire et inquiétante du foisonnement végétal s’oppose comme plus moderne face à l’acceptation du paysage ancien. Elle arrive portée par un courant culturel urbain. Des idées, un style, une façon de faire et d’être dont l’origine se révèle urbaine.

Je ne suis pas d’accord que l’origine de cette vision soit urbaine. L’élevage est les cultures de vastes champs de céréales sont, eux aussi, problématiques, en termes de la perception de l’utilité des haies. Terrasson le dit aussi, plus loin, il s'est peut-être laissé allé dans une bouffée d'éloquence réductrice, ici ? Il y a des genres de ruralité « urbaines » comme les mouvements de masse et les transhumances qui font fi du petit détail. A cela peut se rajouter l’utilisation habituelle de tracteurs et de toutes sortes de machines, typiquement des débroussailleuses, des tronçonneuses et des girobroyeuses, pour mettre à néant des vastes tractes de paysage/bocage, saans aucune prévisibilité et donc sans aucun possibilité d'autonomie pour l'intelligence animale et végétale du coin. C'est comme une campagne de bombardement aléatoire, partout, maintenant. Il y a un rustique industriel. Il y a un pré-industriel purement productiviste - d'autant plus qu'il produit moins, que la nature est éternelle et débordante sur ses cultures - en cela il y a continuité et non rupture entre le monde d'avant et après la révolution industrielle, et on peut supposer que certaines normes profondément nuisibles ont perduré des siècles voire des millénaires. (il y a plusieurs écrits sur ce site qui élargissent le champs et rentrent dans le détail de ces processus, pour le moment un peu dans le désordre et avec maints fautes d'ortographe et de rédaction que je corrige progressivement ;()

Deux anécdotes pour illustrer ce point. Vers 1992, j'ai rencontré un député vert, dans l'ancienne Allemagne de l'Est, avec lequel on a passé la nuit à étudier des anciennes cartes des montagnes des Herz, au centre de l'Allemagne. La révolution industrielle qui a bénéficié à partir du 18iême siècle, de l'eau, du bois et du charbon du nord de l'Angleterre (England, Pennines) a suivi sensiblement le même chemin dans les montagnes des Herz. En France, un profil similaire existe pour l'Ariège et dans d'autre massifs montagneux. On a brûlé le bois, miné les minérais, fait brouter le bétail, on a créé un genre de destruction écologique du sol, mais qui s'est parfois étalé au cours de cinq siècles et plus - donc qui a été difficile à détecter à l'échelle de quelques générations. Moutons, charbon, minérais. Argent, commerce, laine. Lombardie, Pays Bas, Angleterre. Les grands axes de la destruction écologique proto-industrielle.

Le deuxième exemple vient d'un ami espagnol, passionné de botanie, qui a amené et planté chez sa grand-mère en Téruel (arrière-pays désuet de Valence) un sapin indigène. Quelque temps après, il est repassé chez elle. L'arbre a disparu. Il lui demande ce qu'il en est - elle répond qu'elle l'a arraché, puisqu'il n'était bon à rien. En Espagne, sur la Meseta, j'ai observé plusieurs kilomètres carrés d'amandiers, où on a gratté la terre - pour que l'herbe n'y pousse pas. Dans les deux cas, les terres sont exceptionnellement arides - le manque de couverture végétale crée et exacerbe la sécheresse.

On peut rajouter qu'en Espagne, on a décidé de cesser (au 19iême) la transmigration massive traditionnelle des brebis (la Mesta), vu les dégâts tangibles et cumulatifs que cela infligeait sur les terres de passage et leurs habitants. Ces mêmes souffrances de la biodiversité sont présentées, en France, comme la conservation d'une culture traditionnelle qui "maintient" le paysage. Au contraire - et c'est l'histoire longue qui le prouve - de quelle tradition parle-t-on, donc ? Et peut-être si la grande-mère arrache l'arbre et tout ce qui vit, c'est pour que le bétail en transhumance n'y passe pas, pour manger ses fruits aussi? Qu'à l'origine de sa supposée incohérence, il y a les mesures qu'on est obligé d'adopter si on est pauvre et opprimé ? Au Portugal sous Salazar ou bien à Tetochlan sous les Aztecs on a fait pousser des arbres et des légumes alimentaires au bord des chemins - pour les pauvres. Mais si ces cultures sont conçues surtout comme des biens marchands, on fait exprès de ne pas les faire pousser au bord du chemin et d'interdire leur récolte aux pauvres - parce que dans ce cas ils ne les acheteront pas aux propriétaires. D'autant plus aujourd'hui si leurs proprios ont des tracteurs et n'ont pas besoin de main d'oeuvre. On préfère souvent laisser pourrir les fruits sur le chemin, ce qui fait que les autorités locales font arracher les arbres surplombants pour éviter les ennuis.

Le jardinier urbain, vu les espaces limités qu’il jardine, fait souvent manuellement ce qui se fait avec des machines à la campagne. En campagne, ce sont des pratiques agricoles qui sont ensuite transférées à l’échelle du jardin, plus que l’inverse. L'humain est mieux outillé et équipé que les machines qu'il emploie actuellement, pour le jardinage. Lorsqu'il le pratique comme activité de loisir, sans indoctrination agricole, il ne va pas investir dans des machines, mais tomber naturellement sur la méthode écologique - efficace en termes d'énergie investie contre énergie produite. Lorsqu'il va a la campagne, on va lui mettre une débroussailleuse à la main et lui dire "on fait comme ça ici, on est professionnel", même pour le plus petit lopin de terre. Je vois fréquemment des agriculteurs à la retraite sur des tondeuses massives qu'ils ont achetés ... pour tondre 200 mètres carrés de pelouse autour de leur petites maisons normandes. Il y a peu de temps, leurs parents auraient utilisé des faucilles - un outil qui existe depuis le temps des gaulois. Chaque problème énuméré ici tient une solution tout-à-fait banale, qui se trouve dans ces écrits, à application facile immédiate. Bien que le rendement ne soit pas le problème, le rendement est énorme - ce qui laisse à voir le vrai origine du non-faire - la condensation en peu de mains de ce qui pourrait être à la portée de tous.

Haies à dénivelé

Les épineux du coin résistent au broutage. En créant des terrassements qui suivent les lignes du dénivelé à l’horizontal, avec des haies denses de chaque côté, on peut les employer successivement pour faire brouter les bêtes, pour la récolte des fruits des haies et « fermer » une ou autre ligne de dénivelé pour des usages potagers. Une fois les haies bien établies, ce sont les herbivores qui les entretiennent en mangeant les jeunes pousses – et qui amendent le sol au passage. C’est une manière de réconcilier les usages. On rajoute que ces haies peuvent servir comme habitat pour les petits oiseaux qui co-jardinent avec nous et que la méthode se prête bien aux bords de chemin/route aussi.

Le principe de « chemins »

L’origine de multiples problèmes, sur une surface donnée, c’est le manque d'acheminement clair – c’est le cas avec une surface récemment débroussaillée, plate et sans accidents. Créer des chemins clairs, c’est éviter de piétiner partout, ce qui permet aux sols de « bouffir » et d’élaborer leur propre complexité.

Typiquement, ceux qui viennent à la campagne, lorsqu’ils occupent une surface, coupent les chemins d'accès, sauf un, pour la sacrée voiture, ce qui rend moins accessible leur terrain. Ils devraient, au contraire, créer de la lisibilité - des bons chemins avec des bonnes haies, ainsi facilitant le passage à travers ou à côté de leur terrain, sans y faire intrusion.

Les cervidés ne font que cela – ils créent des chemins habituels qui leurs permettent de s'éloigner vite en cas de besoin et avoir un accès commode aux plantes qu'ils mangent.

Il est donc possible d’envisager un paysage densément peuplé – d’humains, de leurs animaux et plantes, de vie sauvage, animale et végétale, si l’on réfléchit bien sur l’acheminement et la parcellisation. Plus il y a de bons chemins, moins il y a de besoin de surface pour un bon rendement - on ne doit même pas y penser. De cette manière, la flore et la faune typiques d’un milieu forestier peuvent coexister, derrière des haies, avec des milieux fréquentés par des ânes, des vaches, des chèvres, des moutons, des canards ou des poules et des milieux où on fait pousser les plantes domestiques.

Jardins évolutifs

Un autre facteur à tenir en compte est le caractère naturellement évolutif d’une culture ou d‘un jardin. Certains légumes peuvent tolérer d’être plantés dans un sol perturbé, ou récemment mis au service du potager. D’autres font mieux dans des sols maraîchers adaptés au cours des années. D'autres apprécient des sols arides, non-labourés ou avec peu de nutriments. On peut penser que les premières années, des annuelles comme les patates prédominent, mais qu’on aura déjà repiqué ou laissé pousser, aux bords des chemins, des cassis, myrtilles, fraisiers, groseillers, églantiers (qui commenceront à atteindre une maturité productive dans un délai de cinq ans), aussi bien que des arbres fruitiers, pèches de vigne, pommiers, noyers et autres (qui dans un délai de 5 à 12 ans deviennent productifs).

Avec la maturation de ces essences, l’espace de jardinage à l’horizontal s’amoindrira et s’assombrira, créant des niches pour d’autres légumineux (exemple rhubarbe, framboisier). Une autre parcelle d’annuelles prendra le relais pour les légumes annuels et progressivement ce qui était jardin de maraîchage deviendra verger et ensuite sous-bois. Or, actuellement, on voit peu de jardins vraiment matures (et donc très productifs déjà, sans intrants et sans labour), parce que tout le monde s'est habitué aux annuels, au mis-à-ras annuel. On pourrait dire que c'est tout ce qu'on sait faire maintenant. De là l'erreur de penser qu'il y ou la nature, ou la présence de l'homme. Oui, mais quel homme, avec quel outillage, quel savoir faire et sous quelles conditions de coercition sociale et administrative ? Ce n'est pas la peine de demander à un vrai jardinier de passer des années à créer un jardin forestier qui vaille le nom avec la quasi-certitude qu'on obliterera tout dès qu'il est parti ou pour des raisons de "protection du milieu naturel et des traditions rurales".

Jeu d’échelles

Un autre principe à prendre en considération est celui de la taille ou du jeu d’échelles de ce qu’on fait. Certains arbres – par exemple le noyer ou l’eucalyptus, ont un effet toxique sur les autres plantes – et leur taille et envergure peuvent devenir considérables très vite. Sans parler de la compétition pour l'eau de surface des racines. D’autres essences peuvent plus facilement cohabiter à proximité des jardins. Le bénéfice d’avoir plusieurs variétés de plante à proximité est d’augmenter considérablement les rendements par unité de surface et la longueur de la saison. Un exemple serait le thym-serpolet, un aromate qui occupe et se répand dans des endroits secs, produisant une abondance de fleurs mellifères très tôt dans l’année (à partir de mars/avril), ce qui favorise considérablement les insectes butineuses et tous ceux qui en dépendent.

Jardinage n'est pas maraîchage

Le jardinage diffère du maraîchage dans le sens du détail déjà. Lorsqu'on travaille sans machines à petite échelle, on a tout intérêt à s'épargner au maximum le travail - un jardin intelligemment construit laissera la plupart du travail à "l'équipe" - les plusieurs animaux et plantes qui y vivent.

Quelques exemples : on aura intérêt à mettre le compost dans un endroit plus humide, assez éloigné des semences tendres - les limaces auront plus de chemin à parcourir et elles sont contentes déjà là où elles sont. Il est intéressant d'expérimenter avec le paillage et les engrais verts, pour éviter de tourner et casser la terre, tout en favorisant la germination des nouvelles pousses (qu'on n'a même pas du semer). En favorisant les coléoptères (murs secs, détritus), on favorise l'élimination des oeufs de limace. Certains purins (orties, prêle) appliqués sur les plantes à des époques sensibles repoussent les insectes et autres nuisibles, si ce n'est qu'à cause de leur goût amère et leur aspérité silicieuse.

Il est possible de pousser assez loin le concept de l'auto-entretien. Aprés avoir fait l'aménagement "structurel" du terrain, au bout de peu d'années, l'instrument principal devient la main, qu'on utilise pour tirer selectivement les adventices qui prendraient sinon le dessus sur les plantes qu'on choisit de laisser pousser. Ce genre de jardin très polyculturel est parfait pour la transformation de petite échelle - en fruits et légumes secs, en bocaux, aromatisés aux fines herbes. Dans le maraîchage on envisage de vendre sa production - il faut produire ce qui se vend - tandis que dans le jardinage proprement dit, on vit du jardin, on cuisine, on transforme, on mange - tout comme on le ferait avec des denrées achetés, mais sans devoir aller jusqu'au magasin ou générer de l'argent. Là où il y a des surplus, on peut les échanger ou les vendre.

Archi-jardinage

Du fait que notre alimentation est devenue un "secteur productif" à part, la culture humaine a tendance à percevoir cette production de manière assez dépourvue de poésie - et pleine de fonctionnalité non-frivole. Mais un jardin sert aussi de lieu de vie - de choix, pour plusieurs d'entre nous. Il mérite donc une considération ésthetique et en termes de loisir. Dans la mesure qu'un jardin produit "notre bonheur", il nous épargne le besoin de chercher ce bonheur ailleurs. Des jardins partagés, des jardins publics, des bords de chemin jardinés, des terrains intégrés où on peut pratiquer les sports, tous font partie de l'habitat horticulturel - et des lieux de libre-association pour tout le monde.

On peut rajouter que si le/les gouvernement/s/ants, entrepeneurs privés / ONGs divers continuent de financer exclusivement les industriels et leurs machines, alors que le peuple mange et vit autrement, ils n'auront bientôt plus d'électeurs/ clients / bénéfacteurs - cela peut se passer très vite. C'est pour cela que la plupart des propositions dites écologiques adoptées par les gouvernements cherchent en réalité à ralentir la transition en cours plus que de l'accélérer - c'est leur propre crédibilité / pouvoir / sécurité et niveau de vie qui est en jeu. Parler d'argent tout le temps permet de convertir toute discussion de cette réalité pratique en hiéroglyphes - tandis que l'écologie c'est l'économie et le bien-être tangibles ... et son aspect social c'est nous tous.