mardi 16 mars 2021

Une vie de John Muir

C'est une hagiographie, cette vie péremptoire de John Muir (1838-1914). Il y a apparemment besoin de saints écologiques – on les façonne sur mesure.

Je parle de J'aurais pu devenir millionnaire j'ai choisi d'être vagabond (2020) par Alexis Jenni.

C'est important de dire par qui cela a été écrit, on a beaucoup de mal à savoir qui dit quoi, qui invente quoi. C'est dommage.

Le Sierra Club (sauveur des sequoias) a été initié par John Muir. C'est le club californien des conservateurs de la nature. L'une des raisons que je ne sais pas beaucoup sur lui à la fin du livre, c'est qu'à la fin du livre Jenni explique, de manière gentille et condescendante, que les coûts cachés de la destruction de la nature sont loin de la pensée de Muir, puisque la science et la pensée politique écologiques ne sont pas encore développées (p206).

Plus loin Jenni explique, de nouveau, que «Comme j'ai étudié les sciences, [...] je sais très bien que la nature vivante fonctionne très bien toute seule, c'est de la physique un peu complexe, nul besoin de l'âme pour rendre compte de la photosynthèse.» (p212)

Mais, quelle vraie ânerie. La nature vivante, apprenante, enthousiaste, lasse, émotive, résignée, n'a pas besoin d'état d'âme ?!

Non, mais c'est terrible. Si la science du vivant d'Alexis Jenni (né 1963) nous a appris une seule chose, c'est qu'il y a des très, très bonnes raisons pour comprendre que le vivant n'est aucunement juste une question «de la physique un peu complexe» et que la motivation y compte surtout.

Au contraire, de nouveau, de ce qu'écrit Jenni, nos ancêtres étaient pleinement conscients, surtout en Écosse, surtout dans les terres de parler gaélique (la langue maternelle de Muir), des possibilités de destruction écologique et de leurs conséquences pour nous tous. L'émigration envers «la terre promise» de l'Amérique était massive, surtout la où on a expulsé les pauvres de leurs jardins et de leurs terrains.

Pour dire, le livre est incroyablement superficiel, peut-être n'est-il même pas révisé et que les sections que je cite ont été écrits tard une nuit sans réfléchir, pour ensuite être envoyés à l'éditeur. Le titre manque également de subtilité – mais c'est sans doute très «vendeur». Les cultes de la personnalité sont très vendeurs. L'auteur, qui cherche systématiquement à s'identifier avec John Muir, s'y reconnaît : «Je me souviens de la merveilleuse étrangeté du virement bancaire bien réel que l'on m'a fait pour le premier article que j'ai vendu.» (p193) Le texte est bourré de ces petites failles de vérité ostensible, des lapsus intentionnés, de la manière «à l'arrache» de celui qui n'a non plus la patience de transcrire et bien travailler ses carnets de notes, John Muir.

Mais nous, êtres humains aujourd'hui, n'avons-nous pas besoin de nous rassembler un peu, en toute humilité ? Des gens comme John Muir ont essayé de trouver une parade à ce qu'ils voyaient venir, de témoins ils sont devenus décideurs. On est toujours susceptible à la flagornerie, si on est timide.

Nous y sommes, dans la catastrophe pressentie. Ils n'ont aucunement réussi. Les tentatives de créer des zones de protection de la nature n'ont aucunement réussi. Les gens, étant encore plus séparés de la nature par des telles politiques, sont encouragés à s'émerveiller de la beauté de la nature, sans jamais y vivre vraiment (on voit que John Muir est boulimique, il reste à la nature jusqu'à l'épuisement et puis il tombe sur un «sauveur» de dernier recours avec fréquence; lorsqu'il «travaille», c'est à la ferme ou comme écrivain, d'ailleurs il s'en fout apparemment des êtres humains qui y passent leurs vies, à la nature).

Est-ce que je suis vraiment dans un pays de démocratie humaniste, ou dans un genre de «misery-corde» sans espoir de l'extrême droite ? C'est à ces époques-là (fin dix-neuvième siècle) que les mouvements pseudo-intellectuels eugénistes étaient en train de se définir. De nos jours, la pub continue – on projète à l'avant de la scène des gens vachement sympas (style Nicholas Hulot) pour «vendre» la Nature.

Cela n'a pas marché. Si je ne peux pas en vouloir trop à Nicholas Hulot, c'est qu'il a eu le culot de démissionner – et l'honnêteté intellectuelle.

Pendant que j'écris, j'écoute l'émission radio d'écologie de la semaine (France Culture). De quoi parlent-t-ils ? D'interdire la pub pour les entreprises polluantes. Mais c'est qui qui passe les pubs des pollueurs en chef, c'est la maison de la radio ! Personne n'y croit, aux pubs, d'ailleurs, ils croient à l'existence des pubs, pas aux pubs elles-mêmes. Elles sont juste là comme un service religieux, pour prétendre que ces norme sociales d'hyperconsommation existent encore – comme un genre de brimade cachée.

Personne n'y croit, à la régulation. Personne n'y croit, à ce dont ils parlent. De remplir les ondes avec ces sujets est en soi une grosse perte de temps, une manière de saper l'écologie. L'émission principale sur l'écologie de France Culture est devenue inconséquente. On va voter une foutaise de gueule du conseil citoyen au parlement, elle fait parler de la pub. Qui décide de laisser cette émission continuer comme ça ?

Maintenant ils parlent de «la valeur d'usage», qu'on n'a pas besoin de «posséder» des choses. Les GAFFA … si j'étais de l'entreprise «Intel», je ferais cramer les centrales «cloud» de données. Comme ça, les gens, ils achèteraient plus de clés USB. Je ferais que les gens soient piratés par des ransomwares, comme ça ils achèteraient les versions payantes «premium» des antivirus.

La publicité, c'est les journalistes qui la produisent maintenant. Greenpeace est leur meilleur publiciste. L'industrie des plastiques continue d'en produire autant – pour nous envelopper tout ce que nous touchons en plastique, en emballage. Pour les hôpitaux, pour les repas, pour la viande bio. La pub vend la menace et le chantage.

La publicité est devenue un grand ours menaçant. Ce n'est plus du tout une question d'hyperconsommation. Regardons un peu les affiches «publicitaires» de la deuxième guerre mondiale pour comprendre à quoi ça sert – ce sont des «mots d'ordre». Personne n'y croit.

Et Radio Paris continue d'émettre sa propagande, sans ironie. Tout est codé. C'est une préparation pour l'autoritaire à venir, déjà là de fait.

J'aurais voulu faire une belle exposition des erreurs des parcs régionaux naturels. Pour les anglais, le figurant de proue est, ou était, David Attenborough, pour les émissions monde naturel BBC. Donc World Wildlife Fund (WWF), développement durable, conservation conservation, conservation de la nature.

On pense aux années 1960, en Angleterre, pour retrouver cette pensée-là, elle est vieillotte. Mais elle est très difficile à éradiquer, force est de le constater. Ce que les «gens qui parlent» ne veulent pas voir, c'est que vous ne pouvez pas mettre des gens devant le choix «vos enfants ou les animaux».

Les parcs régionaux en France, les «réserves» - ce sont des endroits où vivent les riches, quand ils ne sont pas à Paris. Le bétail détruit la nature, mais justifie les vastes étendues de pelouse sans habitat humain partout. Les tracteurs permettent qu'il y ait encore moins d'humains dans les réserves, les voitures et les 4x4 permettent que les touristes, les naturalistes et les chasseurs rentrent chez eux sans y séjourner.

Les riches habitent les gîtes où ils invitent les riches. Ils y votent.

De ce fait, les «parcs naturels» sont peut-être les plus menacés de mort de la biodiversité qui soit. Tout se fait par machine : les tondeuses, les faucheuses, les moissonneuses, les tronçonneuses, pas de communauté humaine de taille. Aucune réussite de vie dans la nature, les normes administratives l'interdisent, les riches l'interdisent, leurs représentants politiques l'interdisent. Pour ceux qui viennent, ils croient avoir trouvé «la vie rurale.» En fait, ils n'ont retrouvé que la vie industrielle d'intensité maximale - les empreintes énergiques et écologiques des habitants de la campagne sont réellement ahurissantes, jusqu'à des dizaines de fois plus élevées qu'en ville.

L'alternatif est là. Accepter que l'être humain fait partie de la nature, pas du monde artificiel. Mais pour cela, la femme de John Muir doit elle-même décider de venir vivre avec leurs enfants sous un toit de branchage, en hiver. Il faut casser le mythe du frontiersman à tout jamais. La mode de la modernité est un mythe aussi – c'était juste une époque transitoire.

Nos techniques, comme notre pollution et nos industries désuètes, nous donnent des décennies de quoi vivre, décemment, pendant que nous réapprenons à faire partie de la nature. Les mythes des adorateurs de la nature qui, tout en étant botanistes comme John Muir, ne savent même pas s'en nourrir, qui ne veulent que s'extasier devant, sont des mythes nourris du monde riche. Par exemple, au Pérou, tu ne bâtis pas une maison pour toi et ta famille en pleine cambrousse, c'est vraiment trop dangereux. Il y a des bandits. Non. Tu vies avec d'autres gens. Tu vies en bon rapport avec les communautés autours, tu n'es pas «téléporté» de loin.

Tu ne vies pas du bétail non plus – le bétail, il bouge, avec ses intendants, les bergers, les vachers. Ils ne broutent pas tout, il y a des vergers, il y a des potagers, il y a des étangs où il y a du poisson. C'est pour cela qu'il y a des bergers, pas des clôtures. Il y a des forêts avec des vieux arbres qui ne sont jamais coupés. Et dans ce genre de paysage, on peut faire vivre de dix à vingt fois plus de monde qu'actuellement. Ils n'ont pas de voitures, ils ne vivent pas dans des passoires thermiques, ils ne mangent pas des aliments de base qui viennent de loin – il y a déjà besoin de trois quarts moins de revenu. Ce revenu, en réalité, il allait aux riches, pour fournir leurs vies d'hyperconsommation, les voitures sont déjà «hors-prix» pour la plupart d'entre nous.

Nous vivons, nous les plus pauvres, dans les banlieues accrochés aux grandes villes – la campagne nous est devenue trop chère. Ne laissons donc pas la campagne aux riches, ne croyons pas aux mythes des riches qui nous concentrent dans chaque fois moins de territoire, jusqu'à ce que eux, ils comptent en hectares ce que nous comptons en mètres carrées (une famille d'exploitants agricoles, 50ha, une famille de banlieue HLM, 50m²).

Pour une famille, pour vivre, il faut à peu près 2,500m² à 1 hectare de potagers, de vergers, de basse-cour. Elle y vie aussi, la famille. Démystifions les mythes. Ces 2,500m² peuvent être des endroits qui pullulent de biodiversité et de beauté. Rien à voir avec 2,500m² de prairie piétinée par les vaches, entourée de fil électrique. Beaucoup plus productif que cela, pour à peu près zéro énergie fossile, zéro effet net à gazes de serre.

Chaque fois que quelqu'un comme Alexis Jenni loue quelqu'un comme John Muir au ciel, pendant qu'il décrit comme des vermines la racaille humaine inculte qui envahit et détruit cette nature, il promulgue une doctrine des riches et éduqués compétents - amateurs de la nature ; pauvres stupides - destructeurs de la nature. Mais les plus «pauvres» étaient déjà là, à l'arrivée des européens, ils vivaient dans la nature que les européens ont ensuite détruite. Ils y vivaient à des centaines de milliers, avant l'arrivée de gens comme Muir. En plus, Muir est venu avec le troupeau de moutons – il en vie, de ce qu'il décrie. La nature n'était ni vierge, ni sauvage, les êtres humains étaient bien là avant que n'arrivent les européens. Les européens eux-mêmes étaient souvent très pauvres, déplacés par l'industrialisation et l'enrichissement de leurs propres pays.

Autour de moi, je ne vois que des riches en train de détruire la nature. Les pauvres, ils n'ont en même pas – ils sont sous le diktat de ces mêmes riches - ils veulent devenir assez riches eux-mêmes pour ne plus être au diktat des riches. Les riches préfèrent utiliser des machines pour travailler aussi peu nombreux que possible – ils gardent plus de richesse comme cela – et les machines les obéissent.

Partout, la végétation est fauchée, presque au ras de sol. Les pauvres, qui n'ont pas d'argent pour les machines et qui veulent bien gagner leur pain, préfèrent travailler ensemble. Qui est vraiment plus écologique ? Qui vie mieux ?

Il serait donc intéressant d’étendre ces liens à la population ouvrière – que les actifs désœuvrés en ville trouvent du travail écologique dans la campagne. La logique de la situation écologique, économique et politique est telle que cela est devenue presque inévitable. Tenir une politique socialement responsable, c'est en tenir compte. Pas pour inviter les gens à couper les forêts, cette fois, mais pour les régénerer et y vivre.