mercredi 16 juin 2021

renommer l'écologie

« Notre maison Terre brûle » - Jacques Chirac, 2001 en Afrique du Sud blue orange

C’est un concours. Enfin je propose un concours, pour trouver ou inventer un mot ou une expression plus heureuse que « l’écologie » pour décrire notre rapport avec la terre et la vie – le savoir vivre sur la terre. Je n’exclus pas le soleil, pour autant.

C’est que Jacques Chirac avait raison, en termes de l’origine grecque du mot écologie, il a la même origine que le mot économie. « Oikos » en grec, qui signifie « maison », les deux suffixes signifient respectivement « la logique de » et « le calcul de ».

L’économie n’a, en principe, pas grand’chose à voir avec l’argent – le moyen d’échange, c’est juste une manière de dire « la gestion de la maison ». Il faudrait rajouter le mot « mondial » ou « global » ou « terrestre » au mot écologie pour encapsuler le concept de l’écologie, tel qu’il est utilisé aujourd’hui. « L’écologie terrestre ». « Notre maison terre ».

Mais ce n’est pas vraiment là ma dispute avec le mot « écologie ». C’est dans l’idée que cela concerne une maison, un habitat. Même le mot « logique » est très près du mot « logis », bien que l’étymologie n’a rien à voir. C’est fixe. C’est fini. Nous ne sommes pas fixes et partir du principe qu’on est foutu, ce n’est pas bon pour le moral.

« I’m not homeless, I’m just houseless » - je cite la pub pour un film du moment sur une femme qui, aux États Unis, choisit de prendre la route en camping car parce que sa maison est devenue trop chère. Sans avoir vu le film, j’imagine que thématiquement on peut lui faire sentir un sens de « dépaysement », de vivre dans les limbes, mais qu’en fait elle est chez elle partout.

Par contre, du point de vue écologique, son mode de vie est nulle, ce n’est même pas un pas en avant.

Désolé de le dire comme ça, mais ce serait beaucoup mieux si elle pouvait se déplacer sans camion et vivre chez l’habitant, plutôt que de se balader avec des tonnes de matos en cramant l’essence. Pour des raisons écologiques, il est impératif de voyager en laissant des traces positives et non pas « sans laisser de traces » sur son passage. C’est un peu comme l’effet observateur-observé – l’observateur n’est jamais exclusivement observateur, il influence son environnement en étant là. Dans le cas d’une voiture ou un camping car, il émet des gazes infectes de son pot d’échappement déjà, mais c’est surtout ce que sa présence et son déplacement exigent comme infrastructure qui cloche : la route, avec comme commodités la police routière, les ambulances, les stations services, les matériaux et la main d’œuvre nécessaires pour la construction et l’entretien de son véhicule, des puits de pétrole, des pipelines, la liste s’étend, ou presque, à l’infinie et ne contient rien d’agréable.

Même l’idée de l’oikos (maison) et par extension de l’œcumène (ce qui est autour de la maison et dont dépend la maisonnée, le ménage ; l’univers en tant qu’habitat) est à mettre en doute. Une maison et ses dépendances, ce n’est pas une station spatiale ou une bulle autosuffisante. Ses « habitants » sont fréquemment ailleurs. Lorsqu’un être humain marche, est-ce qu’il a besoin de marcher « dans une maison » ? Je dirais plutôt le contraire. Il marche à la découverte de l’altérité. Il marche sur des lignes, logiquement, de point à point. Ni une ligne de marche, ni un point d’arrêt se doit d’être « une maison » et de vouloir réclamer tout l’univers comme sa maison, c’est de l’hubris.

On trouve parfois sur les anciennes steppes des époques glaciales des côtes de mammouth qui ont été arrangés par nos ancêtres pour façonner des abris de passage (des « bivouacs » dirait-on aujourd’hui, des laubja [loges] aurait-on dit en francique). On peut supposer que nos ancêtres étaient en déplacement – ils suivaient les troupeaux, ou ils se déplaçaient à des endroits pré-arrangés pour dépecer leur proie près des guets-apens sur les routes de transmigration des troupeaux – des rennes dans le cas des steppes de Narbonne.

Ces gens-là n’allaient pas se balader avec des os de mammouth ! C’est lourd une côte de mammouth. Ce n’est pas une question d’être « civilisé » ou « primitif ». Lorsque je vivais au Pérou, le terme employé pour les touristes européens qui arrivaient, toujours en avion, c’était « mochileros » – de « mochila » – sac-à-dos. Ils voyageaient avec « la maison sur le dos » - ce que ne faisait jamais un péruvien. Or, certains mauvais péruviens avaient l’habitude de guetter leur arrivée et lorsqu’ils sortaient de l’aéroport, de couper des ouvertures dans les sacs à dos pour récupérer les contenus qui en tombaient. Il fallait expliquer aux nouveaux arrivants 1. qu’ils ne devaient pas sortir de l’aéroport à pied, 2. qu’ils portent leurs sacs-à-dos sur le ventre, pas sur le dos. Mais à vrai dire, avec un tel poids sur le dos, et avec une forme physique d’européen, ils restaient une proie facile. Et, bien sûr, on ne leur expliquait rien du tout.

Il y a une logistique du voyageur qui s’échappe souvent à notre compréhension aujourd’hui. On continue, cependant, de se déplacer … et comment ! C’est le propre de l’humain. Mais même avant la pandémie Covid, on voit que nous essayions de dissimuler ce fait. Un voyageur qui s’assoit dans la rue attire l’attention, mais derrière les vitres de verre fumé de sa voiture, il ne pose aucun problème. Et en Europe, le nomadisme a toujours été mal-vu – obligeant ceux qui se déplaçaient de le faire avec tout l’outillage nécessaire à la vie contenue dans des roulottes, des maisons ambulantes, à moins qu’ils n’aient assez d’argent pour se payer l’hôtel, l’auberge, etc. « Pas de place à l’auberge » et « on va assassiner vos enfants », c’est le message central de la nativité, après tout – on ne peut pas nier que cela nous a été important, il y a une fois dans l’est.

Le nomadisme des riches – le tourisme, n’a pas posé problème. On peut résumer cette affaire en disant que plus on est nanti, plus on est en droit de voyager. Plus on se balade en démontrant des signes visibles d’opulence, mieux on est reçu. Par contre, pour les « fellow travellers » plus on peut s’invisibiliser, mieux c’est. On doit toujours paraître « domicilié » quelque part, même si en réalité on est juste de passage, d’autant plus si on voyage groupés.

Ces constats expliquent ma réticence sur l’emploi du mot « écologie » pour décrire notre manière de nous intégrer à la vie sur terre. Souvent on pense qu’en mettant les gens dans des « cases », on réduit leur impact écologique. Pour l’exercice physique, on leur donne des salles de sport ou des bicyclettes statiques chez eux ! Pour la motivation, des coaches. Pour les soins et les maux de dos du fait d’être assis la plupart du temps, des hôpitaux. Pour réduire les déplacements, des services de porte-à-porte ou des visites à l’hypermarché en voiture, bon vous voyez le scénario. Cela ne peut que coûter beaucoup plus cher pour l’environnement et pour nous tous que de se déplacer soi-même, sans assistance. 70 kilos contre deux tonnes métriques, pas photo.

On parle de l’effet « baignée » ou « donut » d’après des observations récentes que les gens choisissent massivement en ce moment de déménager vers les villes moyennes, ou de vivre de plus en plus en banlieue, en péri-urbain. On vient de dire à la radio (Hervé Gardette) qu’à la campagne on est beaucoup plus résistant à l’écologie – et à la venue d’étrangers – qu’en ville. L’espacement social, j’en déduis, fait qu’il ne reste que les villes de taille moyenne où on peut se sentir à peu près à l’aise, l’autre possibilité étant de se fondre dans l’anonymat du péri-urbain, en abandonnant tout espoir social. Ou, à défaut de toute autre possibilité, de se mettre dans sa maison en déplacement (son véhicule).

J’ai passé 13 ans ici en France à essayer d’attirer l’attention sur la nécessité écologique d’accommoder dignement les gens en déplacement à pied, entre autre en leur donnant des travaux utiles pour compenser les frais putatifs de leur passage. A essayer d’expliquer que cela veut dire favoriser les mouvements de populations à moyens réduits – parce qu’en fait, il faut réduire notre empreinte énergique, surtout dans les secteurs transport et logement, pour des raisons écologiques. Longtemps avant la fabrication de toutes pièces de l’En Marche factice, j’ai employé, à bon escient, des expressions associant le concept de marcher avec marché pour expliquer ma démarche.

Que de la sourde oreille de la part de nos décisionnaires, jusqu’à là, sauf pour piquer des expressions – c’est systématique. Et ceci en partie parce qu’ils cherchent à aller dans le sens inverse. Ce n’est pas exactement ce qu’ils veulent entendre. Dans l’économie telle qu’elle est envisagée par nos gérants, pour qu’il y ait croissance « économique » il ne faut surtout pas réduire notre consommation d’énergie – l’énergie c’est l’argent. Le problème, tel qu’il se pose dans la tête de ces gens-là, c’est « comment faire qu’on puisse continuer à surconsommer et à surproduire, mais autrement ? » On ne vit pas dans le même monde … mais si, quand même.

Pour cela qu’il n’est pas si bête d’ôter au moins le symbole conceptuel (« logos » en grec, = « mot », = « concept » ou « logique ») du préfixe « éco » (grec « oikos » = maison) de notre analyse. « Home » (= « chez nous »), n’est pas partout, c’est là où nous nous trouvons, chacun d’entre nous, et si nous sommes sur la route, c’est probablement chez les autres. Chez moi chez vous. Je le dis. Je n’ai pas le droit. Je le dis quand même.

Tant mieux. Cela me fait du bien. Et j’y vois une nouvelle ligne d’attaque. Nous devons tous devenir « le devin » - d’après le livre « Asterix et le Devin ». Celui qui est malvenu, le prédateur de l’hospitalité des autres. Le mauvais étranger, de mauvaise foi. Le colporteur de commérages contre son hôte. Cela foutra bien le bordel dans l’entre-soi sans lendemain. Est-ce qu’Uderzo et Goscinny savaient vraiment ce qu’ils façonnaient avec ce petit livre malicieux – je ne sais même pas si c’était eux qui l’ont fait à cent pour cent ? Le deuxième degré, l’était-il vraiment ? Est-ce qu’un membre du Rassemblement National est capable d’apprécier, pleinement, ce deuxième degré alors que le premier lui est souvent un obstacle insurmontable ?

Est-ce qu’on a, de fait, assassiné cette socle francophone culturelle de la bande dessinée ? Ce n’est pas du rélativisme, ça.

Je ne suis pas le mieux placé pour le savoir, je ne sais pas ce qui se passe dans la tête des gens. Il faut qu’ils nous le disent, mais ils ont tendance à ne pas nous le dire, sinon de nous le laisser déduire. Vas voir ce que cela signifie, si t’as pas fait ton psychanalyse, ce n’est pas de ma faute !

En tout cas, j’ai défendu le mot « écologie » depuis bien des années et je suis trop content qu’il a, au moins, remplacé les mots « environnement » et « environnementalisme ». On s’en fout de l’environnement … mais vraiment. Et ceci dit, je pense que « l’écologie » est morte, comme usage. Il reste ce besoin de ce nouveau mot. Climat, c’est juste bête. Biodiversité, c’est une connerie – on ne peut pas vivre du bio seul. Et l’amalgame des deux, c’est un aveu de faiblesse – le message ne passe pas, cela veut dire – j’interprète. Ce qui vit, ce qui ne vit pas et ce qui n’a jamais vécu, ni vivra, c’est impossible de les séparer et le soleil dont on dépend, ce n’est quand même pas terrestre. L’espace-tempisme ? La findesharicots-isme ? L’anthropofuge ? J’ai vu un panneau d’avertissement, pour rouler lentement au village à cause des enfants. Il y était écrit : « Roulez tout doux ! Villlage d'enfants sa***ges ». Nous sommes tous des sauvages sages, très sages. Mais ce n’est pas très civilisé, l’ensauvagement, même si c’est de mode.

« L’économie » ? C’est pas mal, puisqu’on n’aime pas les néologismes, dans le coin. On peut tenter de récupérer l’économie. Le problème étant que les gens ont un peu ras le bol de l’économie. « Demos », cela a été chopé par des ultra-libéraux de gauche anglais, mais ce n’est pas l’idéal, on a ras le *** de tout ce qui commence par « demo » aussi.

C’est un peu l’esprit de l’époque, il ne reste plus rien de réutilisable qui vaille et on n’accepte pas les néologismes. « Tiers-mondisme » … pourquoi pas le monde entier ?

« Impasse » ? C’est juste, mais pas très optimiste. « Impassiance », c’est encore plus juste, et encore moins constructif. « Empowerment », c’est franchement intraduisible. Convivance, concertation, conplicité, tous les mots avec con dedans sont …

Même si on le réduisait à deux lettres, tous les mots commençant par « co » sont intolérables : coopération, collaboration, coordination – vous voyez que cela ne marche pas !

« Savvie », c’est pas mal. « Savoir vivre », mais « intelligent » en argot anglais aussi. C’est ta vie aussi, merde ! C’est un peu comme une allusion maçonnique, c’est un anglicisme, cela devrait bien marcher en France, donc. Et cela peut tuer dans l’œuf le survivalisme (= le « sauvequipeut-isme »).

Bon, si vous avez des idées … c’était juste pour lancer le débat (= « monologue » - mono, 1 + logos=mot) de fin.