vendredi 23 avril 2021

Entraide écologique

Pour accélérer les changements de nos sociétés suffisamment, il y a besoin de proactivité.

Prostrés devant le système actuel, cela ne va pas se faire – nos administratifs ont montré jusqu’à quel point ils se trouvent immobilisés par les crises.

Le mot « précarité » est entré dans le vocabulaire, et l’expression « insertion sociale ». Or, pour vivre une vie écologiquement cohérente, il nos faut consommer cinq fois moins d’énergie que la moyenne française. Il faut abandonner la voiture, cesser de chauffer des espaces de vie intérieure mal-isolés, jusqu’à renoncer à la vie sociale.

La précarité et la désinsertion sociale … la vie écologique ? Qui la voudrait ? C’est cette perception qu’il faut changer. Gardons les yeux grand ouverts : jusqu’à là, c’est la richesse qui a acheté l’écologie – les voitures électriques sont hors de prix, les cabanes dans les bois condamnées et détruites, il n’y a finalement que ceux qui peuvent s’acheter un pied-à-terre à la campagne qui peuvent prétendre à une profile d’énergie consommée à peu près respectable – avec de l’argent gagné d’une vie industrielle.

Mais il faut le dire haut et clair, ce n’est pas une infime minorité à la campagne qui va changer notre destin écologique.

L’entraide écologique est forcément collective. On ne peut pas laisser la plupart de la terre aux riches – il nous faut trouver notre place à la campagne, il nous faut « quitter la ville ».

C’est un changement de modèle qui devient pressant. La campagne actuelle est conçue un peu comme une chasse gardée – que ce soit par les lobbies des agriculteurs, des naturalistes ou des peuples indigènes – tous représentants d'une campagne riche en ressources, là où les pauvres arrivent à peine à se tenir.

Ceux des villes désireux du contact avec « la nature » sont encouragés à venir avec leurs voitures et autant d’argent que possible pour faire le touriste – un rôle essentiellement passif - ceux qui ont des moyens réduits se trouvent cantonnés dans les campings privés et les visites d’un jour.

La plupart des tâches rurales dépendent maintenant des machines : débroussailleuse, tronçonneuse et tracteur participent à la destruction de la biodiversité, y inclus la présence potentiellement bénéfique humaine, créant le désert rural. Le rythme de changement envers une campagne de jardinage et de petit maraîchage est tellement lent qu’il ne compense aucunement le mouvement simultanée de destruction industrielle qui se perfectionne. La culture de la débroussailleuse et de la tronçonneuse fait partie intégrante de la ruralité, tout comme le culte des animaux de ferme et de compagnie.

On peut déjà avancer quelques conclusions sommaires, mais évidentes.

- Il faut beaucoup plus de présence humaine pour changer cette culture rurale si négative, écologiquement. Si on veut remplacer les machines, il faut plus d’humanité, physiquement active et productive.

- Ces « néoruraux » doivent pouvoir venir sans voiture – sans empreinte écologiquue tellement contreproductive qu’elle annule l’utilité de leur présence.

- L’organisation présente de la campagne, en petites communautés qui ont tendance à pratiquer une politique d’exclusion des pauvres et des problèmes sociaux, ne permet pas une plus grande présence humaine. Au contraire, ceux qui viennent apporter de l’aide à une population âgée mais relativement riche, font la navette, du périurbain au rural, en voiture.

Pour ces raisons, il est nécessaire de créer des réseaux d’entraide écologique, capables de résister à la dominance industrielle – à la dominance des riches.

Il y a un exemple qui vient à l’esprit, qui est symbolique du problème. A la ZAD de Notre Dame des Landes, en 2011-12, après une période d’intense activisme, on a tenu une « FestiZad », qui a réduit une bonne partie de la ZAD en boue. Ce FestiZad a permis l’accumulation d’un certain capital. Lorsqu’il a été question de décider de son usage, ceux qu se sont insérés dans des positions de pouvoir ont décidé d’acheter … un tracteur.

On ne sait pas s’il faut rire ou pleurer. Mais c’est un exemple donné pour expliquer le niveau du problème – même des gens qui se veulent écologistes se rendent vite aux normes industrielles de la campagne actuelle. Tenons bien en compte que la Terre ne pardonne pas des erreurs aussi grossières – la moyenne de la surconsommation d’énergie française est cinq fois trop, mais en campagne, la moyenne de surconsommation est plutôt de 25 fois trop. Les distances parcourues sont démultipliées, par rapport à la ville. L'automatisation des tâches agricoles réduit le savoir faire humain, élimine les travailleurs agricoles, fait que même pour le plus menu des tâches, on a recours à une machine. La campagne est en réalité la partie de la France la plus industrialisée qui soit. Pendant des décennies, à force de vouloir se rendre « compatibles » avec une société rurale imaginée, des séries de praticants du RealPolitik ont subverti et se sont accaparés du sujet de l'écologie. Leur incohérence écologique a rendu facile le démontage de la crédibilité écologique. On peut dire que les premiers à pratiquer le « greenwashing » ont été les écologistes eux-mêmes.

C’est à cette montagne que des écologistes modérés doivent s’adresser. Une fois qu’il commencent à comprendre l’échelle du problème, ils peuvent être heureux qu’il existe des solutions, des solutions qui favorisent ceux qui ont les ressources les plus modestes.

Comme il a été dit, les déplacements doivent, pour être cohérents, se faire à pied, à vélo, en tous cas sans essence. L’être humain est physiquement très bien adapté pour ce faire. Il existe des alliés à la campagne – des groupes de gens motivés et clairs d’esprit peuvent créer des jardins et des vergers pour desservir ceux qui sont en déplacement, chez des particuliers où dans des communes de bonne volonté – à ce moment-là les voyageurs sont en mesure d'apporter du travail humain qui est normalement hors de prix. Du fait qu’ils voyagent sans essence et sans voiture, leurs besoins en argent sont vastement réduits – on peut gagner sa vie de cette manière.

Se déplacer pour s’intégrer à la vie – en produisant des fruits et légumes – est finalement à la portée de tous – c’est même rentable. Le fait d’aller à la rencontre de l’altérité ouvre nos possibilités sociales et nous permet d’entretenir la liberté de mouvement qui permet la liberté d’association. La puissance exploitante des lobbies et des élites dépend, en réalité, d’un manque de communication et de cohésion des populations – mais des mouvements réguliers en circuit local cassent cette tendance des petites communes à devenir sectaires et bornées.

Pour qu’une démocratie libre fonctionne, ces mécanismes doivent exister. L’internet, les réseaux sociaux, les portables et les voitures ont dématérialisé nos vies sociales, ce qui est devenu parfaitement clair à tout le monde, grâce au Covid. En sortant de cette pandémie, pour positiver l’extrême négatif vécu par plusieurs d’entre nous, quoi de mieux pour canaliser ces énergies ?

Avec la reconnaissance dans les échelons les plus hauts du pouvoir mondial (l’administration Biden aux états unis – avec des investissements en argent déjà massifs) du défi écologique – chiffré – il est possible d’affirmer que ce n’est pas du radicalisme de chercher des moyens, aujourd’hui, de réduire par cinq notre consommation d’énergie et de nous mettre à multiplier, d’urgence, la biodiversité. L plus grande partie de la surface est rurale, c'est là que se trouverait, normalement, la plupart de la biodiversité. En toute logique, c'est là qu'il faudrait commencer.

Pourquoi donc en France, est-ce que cela ne paraît pas politiquement faisable ?

L’une des raisons principales est le manque d’activisme audacieux de base, comme ce qui est proposé dans cet écrit. De ce fait, il n’y a aucun fait matériel auquel s’attacher. Soyons clairs, la fonction de l’activisme écologique n’est pas de se faire élire, sinon de rendre possible aux politiques de se faire élire en indiquant les exemples que nous avons créés. L'histoire souvent sombre du développement rurale a créé des antécédents qui se sont enracinés - les liens politiques campagne-ville s'y sont adaptés au niveaux des élites. Il faut maintenant retisser ces liens au niveau de la population générale, pour que l'équilibre des pouvoirs se rétablisse.

Une ré-humanisation de cette affaire est urgente – nous sommes tous dans le même bain, en ce qui concerne l’écologie, le climat et la perte de biodiversité. Les termes employées ici sont celles qui sont à la mode, mais il faut être exceptionnellement bête pour ne pas constater que le monde du vivant est en train de mourir, de manière accélérée – et qu’il faut agir de manière solidaire si nous voulons nous en sortir. Parler de l’Amazonie est absurde si nous n’abordons pas ce qui se passe ici – où la situation est tellement pire que nous n’avons déjà presque plus de nature et où nos habitudes industrielles sont tellement fortes que la plupart de la surface du pays est polluée – et continue de l’être. Ce sont NOS puits et NOS lavoirs qui sont pollués à l’azote – par NOUS.

La première victoire est donc celle où nous réussissons à convaincre à nos concitoyens de la faisabilité du projet – ouvrant la porte à une politique pro-écologique, pas purement rhétorique.

Le sujet est l’infrastructure, ce n’est pas quelques bonnes nouvelles, par ci par là, mais une vraie mobilisation et changement de projet systémique, où chaque élément trouve sa place et où nos fonctionnaires, surtout nos fonctionnaires, arrêtent de faire l’inverse du nécessaire.

C’est seulement à ce moment-là que nous pouvons convaincre à des citadins des pays comme le Brésil qu’il existe d’autres manières de faire. Pour être clair, les énormes fermes de bétail de l’Argentine, de l’Uruguay, du sud et du centre du Brésil – catastrophiques écologiquement et en train d’envahir tout le pays, n’existent que parce que le commerce international de ces viandes (et ensuite du soja transgénique, etc.) a été rentabilisé à l’époque coloniale. L’existence de cet énorme cheptel de bovins (mais en fait de toute viande et produit laitier industriels) en France et ailleurs en Europe est conditionné encore par les aliments importés des pays qui continuent de tuer leur biodiversité à notre service.

Et pourtant, en maraîchage, à l’échelle humaine, la France a la capacité non seulement de se nourrir elle-même, sans subvention, mais d’augmenter sa propre biodiversité, de dépolluer ses propres sols, et de créer un véritable modèle d’avenir pour tous. Pour ce faire, il suffit de favoriser l’inventivité et le savoir faire qui ont étés, autrefois, la fierté de ce pays, et de créer une mobilité physique réelle qui pénètre le désert rural.

Il faut oser …