vendredi 3 décembre 2021
« L’humain et ses œuvres représentent 80 % du poids de la vie sur terre. » Je cite, encore une banalité d’aujourd’hui sans attribution, qui donne un ordre de magnitude au moins. Nous sommes autant endogènes qu’exogènes partout. Il ne faut surtout pas nous séparer de notre environnement – ni notre environnement de nous – les effets risquant de devenir également nocifs des deux côtés. Et on l’a fait, et on tente encore de le faire. Les animaux et les plantes qui nous côtoient, qui nous guettent, qui profitent de notre présence pour exister – seraient plutôt d’accord avec le point de vue que nous sommes là et ils en dépendent, pour le meilleur et pour le pire. En Europe, ce sont ces animaux, ces plantes, ces « écosystèmes » les seuls qui nous restent. Nous sommes tous sous le joug de la « domestication », prédateurs prédatés.
Le bon environnementaliste qui crée des réserves de la nature sans humains peut être comparé à l’eugéniste, le spéciste, le raciste, le tribaliste, …
Il est assurément vrai que c’est l’intégration de l’humain à son environnement qui est le sujet brûlant, mais cet environnement est autant humain que non-humain – et même bien plus sujet à l’humain que toute autre chose. Il s’ensuit que c’est à travers la réussite de la convivance humaine à toute échelle que les solutions d’équilibre humain-non-humain vont donner les meilleurs résultats.
Pour moi, la croissance de l’agenda « Conservation de la Nature » au cours de ces dernières années est atavique – on se croirait à l’époque des grandes péroraisons télévisuelles d’à partir des années 1960-80, Cousteauesques, Attenboroughistes, eux-mêmes les héritiers de la tradition de John Muir et de sa Sierra Club à la fin du dix-neuvième siècle – les réserves nationales, la beauté de l’ordre naturel, l’œuvre des dieux de l’animisme algorithmique qui éternellement nous échappe.
Mais plus prosaïquement, je maintiens que c’est dorénavant la géographie humaine qui est notre objet d’étude écologique obligatoire. Elle domine très largement sur la sphère naturelle, elle se fait comme jamais auparavant englobante. Ici, je reprends le mot « localisme » pour le traiter à sa juste échelle : qu’elle soit paroissiale, nationale, continentale, … Cette question territoriale n’est autre qu’un terme propriétarial, qui réunit les « intéressés » et exclut les autres par assignation – par rapport de force. Il est peu probable que l’écologie mondiale s’en sortira en traitant « certains animaux » et surtout certains humains comme des « externalités ».
Ce matin, j’écoute une émission sur l’abominable colonialisme des français au Sahel, son thème étayé par des voix radiophoniques chancelantes, absurdes, racistes, dénigrantes, des années 1950. L’une des fautes de ces colonnes d’envahisseurs a été de ne pas informer le Cheikh local de leur passage, dans le contexte du vaste Sahara, alors qu’ils avançaient, assoiffés, en dévorant tout comme une nuée de locustes !
Pour que le « capital vert » ait un sens, il faut définir les axes, les paramètres de sa matérialité, on ne sort pas des paradigmes de la croissance en lui attribuant une valeur universelle exponentielle. Les territoires sont fixés par des routes, parcourus par des fleuves, navigués par des oiseaux, la route de la soie est faite de composants à toute échelle. En fin de « compte », l’économie ne se définit pas en termes comptables conventionnels, sinon en termes d’entropie et d’ordre, le critère gouvernant étant l’intérêt général – et plus particulièrement celui des humains, en ce qui nous concerne. La critique de fond de la « croissance économique » ne se saisit pas en poursuivant son opposé – la décroissance (les « négawatts »), ni par la « croissance verte », l’erreur est plus profonde que cela. L’universel (terrien) est composé d’éléments intercalés qui ne sont pas capables de définition universelle, sinon contextuelle, c’est-à-dire qui peuvent dans un contexte être considérés positifs et dans un autre négatifs, comme l’azote.
Dans ce cadre logique de pensée, des mesures telle que « le réchauffement climatique » et « la biodiversité » ne communiquent rien du bien et du mal -ils indiquent la fin du chemin. Seulement une analyse dynamique, multidimensionnelle, qui accommode la possibilité de l’émergence en temps réel de phénomènes non-anticipés, pourrait aboutir à une saisie des faits pertinents, sauf que la synthèse universelle de telles données, fournies par exemple par des satellites en cluster et travaillés par des super-ordinateurs reliés, ne ferait que détruire les fonctionnalités autonomes des composants du système « vie » qu’ils seraient censés soutenir. Le monde « bloc » serait bloqué par ces tentatives de synthèse, le monde « mailles » pareil.
La réductionnisme et la synthèse conceptuels qui, pour nous, représentent les outils de base de notre science et de notre rationalité, se montrent défaillants face au multivers terrestre – ils nous mettent dans une camisole qui mine notre propre fonctionnalité. La recherche de mesures convaincantes – dans le sens qu’ils nous parlent avec force des dangers qui nous font face, a donné ses fruits, nous savons que nous allons droit dans le mur, mais leur simplicité même nous a confondu, la voie paraît sans issu.
Trouver les remèdes, c’est paraître vouloir miner ce pyramide de savoir et de croyances, s’attaquer aux savants, corrompre le corps social. Ce n’est pas le cas, mais la décomposition canonique d’une édifice de croyance, qu’elle soit religieuse ou empirique, est difficile à négocier.