espace-temps
L'espace-temps, il a changé. Perceptiblement. On ne peut plus le nier. C'est notre culture qui est en train de se transformer. Il y a peut-être de la place pour les autres êtres vivants maintenant. C'est toujours lorsqu'on risque la perte que l'on commence à apprécier ce qui se perd. Faut-il accommoder des espaces, dédier du temps à cela - à ce que cela ne se perde pas ?
🖶
↑
↓
samedi 16 décembre 2023
La Journée « Mobilité Lozérienne »
Plus de mobilité véhiculaire = moins d’emploi local
J’écris ces mots sur le papier de la table « mobilité/emploi » à côté d’une étiquette « besoins ».
Il y a toute une éducation à se faire dans le fourvoiement d’un agenda,
ou « comment détourner une exercice d’intelligence collective pour
qu’aucune intelligence non-consensuelle n’en émerge ».
Dans un monde où les algorithmes machinaux jouent libres et les êtres
humains, avec leurs « rule-based-systems » (systèmes
inflexibles basés sur des lois), sont réduits à la langue de bois.
Je suis participant à la Journée de la Mobilité lozérienne, dans une
grande salle de la préfecture à Mende. Ma journée a commencé de manière
intéressante. M’étant levé à 3h30 pour faire le trajet à vélo de Florac,
pour arriver à Mende avant 8h30, je me suis trouvé à 7km de Florac avec
un petit problème mécanique – ma chaîne s’est cassée, plus de force
motrice, plus de transmission, 33km à faire. Arrive le premier véhicule
qui passe depuis ma sortie de Florac, je fais le stop, il s’arrête, bien
sûr, je rêve, mais non ! Je me trouve avec mon vélo dans la
voiture d’un très jeune gendarme de Marseille, qui monte à Paris et qui
suit son GPS – on se trouve sur le Causse de Mende, à descendre par le
Parc des dinosaures, malgré mes tentatives de lui indiquer le chemin, et
je suis déposé à 6 heures dans le gel devant la médiathèque, on est
loin de l’aube encore.
L’avantage, quand on fait du vélo, c’est qu’on produit sa propre chaleur
– on est auto-chauffant, sauf sur les longues descentes à roue libre.
On préfère donc le froid, pour pédaler. Là, j’ai deux heures de marche, à
Mende, juste pour ne pas me geler. Je découvre la forêt des Poilus,
c’est formidable, d’éducation, de respect de nos ancêtres. L’ancien
maire de Mende me regarde, avec son fils, balaise, à ses côtés, son fils
qui va mourir dans la première guerre mondiale.
Émotionnellement rafraîchi, bien que physiquement un peu rincé, je me
présente à la Préfecture à 8h15 (au moins je ne suis plus dans une queue
de sans papiers à attendre les mots péremptoires d’un fonctionnaire
omnipotent). À l’intérieur, une panoplie de croissants, de petits pains
au chocolat, de café, de jus de fruits, … on voit bien le contraste avec
nos maigres rations de tous les jours.
On peut vite comprendre qu’avec une seule journée, on ne va pas bien
loin dans l’approfondissement du sujet. En fait, si la convention
citoyenne sur les mesures écologiques a eu tellement de succès
productif, c’est que l’on a commencé d’abord par une exercice sincère
d’apprentissage, en invitant des vrais experts pour expliquer leur cœur
de métier, ainsi donnant aux « jurés » au moins la capacité
d’y voir un peu plus clair.
« Les Besoins »
Ici, on voit immédiatement, avec le rubrique « les besoins »
écrit tout en haut de la colonne principale, qu’on a bouclé l’affaire –
on voit déjà comment ça va tourner, nous sommes là dans le rôle de
canards qui s’encanaillent pour faire beaucoup de bruit – on demande
d’être gavé, on a faim, c’est le moment du « wish list ». Donc
« toujours plus de mobilité, plus de cars, plus de trains, plus de
covoiturage », pour cette élite des subventionnés, avec une ou
deux absences curieuse – pas d’usagers simples, sauf moi et un autre,
dans la cinquantaine de personnes qui assistent à l’événement. Pas de
représentant politique ou de fonctionnaire communal ou départemental.
Pas de décisionnaire, que le monde associatif de la Lozère, finalement.
Et pourtant, on n’est pas une île.
Au début de l’affaire le « facilitateur » nous demande de nous
mettre en quatre groupes, aux quatre coins de la salle. Milieu
associatif (plus des deux tiers des gens réunis), milieu
entrepreneurial, habitants, … Je décide de me mettre dans le groupe
« nomades », que j’ai inventé sur le coup et dont je suis le
seul membre, au centre de la salle. J’explique que si je suis
« domicilié » ou « hébergé », c’est purement pour
des raisons de pragmatisme administratif – comme pour les gitans.
Il y a la dame qui dit fièrement que son empreinte carbone n’est
« que » de 4 tonnes par an, y inclus le voyage en Afrique pour
visiter son fils. Je l’interroge : « et les routes sur
lesquels vous roulez ? » … « ah, c’est vrai que les
routes n’étaient pas tenues en compte dans le modèle du
questionnaire. »
Bon, sachons que la Lozère, comprenant une population d’environ 75 000,
est l’un des départements les plus accidentés, avec le plus de dénivelé,
de la France métropolitaine. Le coût de l’infrastructure routière, par
habitant, est donc d’entre les plus élevés de la France. Sachons que le
bilan carbone du transport motorisé et électrique est, en moyenne, en
France, de 50 % pour cent infrastructure, cinquante pour cent
véhicules. En Lozère, c’est plutôt 80 % infrastructure routière,
20 % véhicules qui roulent dessus, par habitant, un chiffre qui est
accentué par l’usage des touristes. L’impact du véhicule, en terme de
taille de chaussée et entretien, dépend du poids (par essieu) du
véhicule plus sa vitesse/accélération – un seul tracteur ou quatre
quatre va faire plus de dix fois plus de dégâts qu’un véhicule léger,
peut-être bien plus que cent fois plus qu’un vélo, par exemple –
l’échelle de calcul pour le renforcement des routes est également
logarithmique.
Le dernier kilomètre
Le représentant de « Mobilité Lozère » déclare fièrement qu’au
lieu de parler du dernier kilomètre, il faut parler du premier
kilomètre, ceci dans le contexte bien connu en logistique qu’il est
facile de livrer à des entrepôts, mais que c’est le dernier kilomètre
jusqu’à la demeure du particulier, qui peut se révéler
« compliqué » (synonyme : coûteux).
Je vais faire un résumé « audacieux » – l’être humain, il est
plutôt une complication, vu du point de vu d’un véhicule (on imagine que
le véhicule est doté d’IA). Ceci dans un monde où cette complication
peut-être « ignorée » dans la mesure que c’est au particulier
de se débrouiller pour aller à l’intermarché de Florac, avec 500 mètres
de dénivelé, et d’assumer les frais de trajet. Le supermarché ne
s’occupe que d’amener des denrées d’un entrepôt à un autre. Plus il ne
s’occupe que de véhicules lourds, plus il économise. Le supermarché est
massivement subventionné par l’état - qui doit fortifier les routes
jusqu’à cent fois plus pour supporter les poids et les vitesses des
camions lourds, tout cela totalement gratos pour le supermarché. Du
point de vu du supermarché, mieux vaut des riches à la campagne, à tous
égards, ils ont les véhicules, ils ont l’argent. Les touristes aussi,
comme cela on peut fermer hors saison et économiser en main d’œuvre.
On a vu un peu où cela nous mène avec les annonces du Président Macron
d’assistance aux foyers « pauvres » pour l’achat ou plutôt le
leasing (location de longue durée) d’un véhicule électrique, pourvu
qu’ils soient des « gros rouleurs ». Donc, on subventionne les
gens pour les kilomètres qu’il avalent. Chapeau, Monsieur Macron, je
n’aurais pas pu faire mieux pour gonfler notre hyper-consommation
d’énergie fossile et de dépendance sur les matériaux venant de
l’étranger. Génial.
COP28
Et tout cela se passe le vendredi de la semaine du COP28 à Dubaï, où
l’on célèbre l’inclusion du mot « fossile », dans l’expression
« transitionner » (nouveau verbe COPien) vers un monde sans
fossile pour l’année « x » (c’est un peu comme la promesse
macronienne de sortir du glyphosate dans un laps de temps « d’ici
trois ans », pour renier sa parole la date venue).
J’ai une proposition, pour ré-induire une atome de confiance dans la
parole politique et la parole toute courte, c’est d’être déjà en train
de faire ce que l’on propose. On constate, avec une vision
multidécennale, que les paroles les plus tranchantes ont été prononcés,
par exemple, par le Club de Rome (plusieurs experts économiques de haut
statut politique), en 1973 je crois, sur un avenir compté en décennies,
pour que s’ensuive la course vers l’abîme, chaque fois plus effrénée,
des décennies suivantes. Donc, aujourd’hui, on produit plus de déchets
totalement innécessaires que jamais, on est plus que jamais
industrialisée, et tout le monde est au courant de ce que l’on
« devrait » faire pour un minimum de cohérence écologique et
sociale.
Je m’imagine le conclave des quatre associations dédiées à promouvoir la
production de chaque fois plus de véhicules, de routes et de
« mobilité » pour une élite d’humains chaque fois plus réduite
– l’un d’entre eux dit « mais ne pourrions-nous pas l’appeler
« mobilité douce » ? » « Ah non, quand même
pas » dit un autre, « nous serions coincés dans notre logique
de « toujours plus de mobilité » à ce moment-là. »
L’affaire est bouclée. On a fait un tour de table sur ma première table,
pour voir le mode de transport utilisé par chacun pour venir. Tout le
monde est venu des quatre coins de la Lozère en voiture, sauf moi, en
vélo à jambes, l’idiot de la partie. En dehors de la salle, quatre vélos
électriques, payés par « nos impôts », pour ceux qui ont fait
le « premier kilomètre » de Mende. On peut juger de la bulle
d’irréalité dans laquelle on vit par les réponses des gens, ils parlent
maintenant, comme les américains depuis longtemps, de « temps de
trajet », les kilomètres et surtout le dénivelé les échappent
totalement.
Je tente une exercice pédagogique, « toi tu brasses combien
d’énergie ? je demande au directeur de Lozère mobilité. Aucune
idée. Et un quatre quatre ? Non plus. Bon les chiffres pour une
personne moyenne (60-70kg) sont de l’ordre de 60 Watts, l’équivalent
d’une vieille ampoule électrique, et de 10 000 Watts (10kW) pour un
quatre quatre. Grosso modo, 100 à 200 fois plus d’énergie consommée par
le véhicule en question. J’explique « il faut quand même tenir en
tête que le vivant dépasse très largement, en performance, toutes les
machines que nous utilisons au quotidien. Même si si on rajoute au
calcul le temps de trajet, l’humain, et n’importe quel animal doué de
locomotion propre, est plusieurs fois plus économe qu’un véhicule
motorisé. »
L’objet est quand même de réduire nos empreintes énergétiques.
Je suis sûr que si cet événement avait eu lieu au cours de plusieurs
journées, avec des éléments de pédagogie simple, les écailles seraient
tombées des yeux des participants, mais le cadre administratif a été
scénarisé par un équipe de « facilitateurs » qui a mis le
bâton dans les roues chaque fois que l’on risquait de sortir des chemins
connus. Je m’étonne encore de cette nouvelle mode de « gestion de
groupe », il y a le gestuel, il y a toute la logistique framasoft
et Facebook, il y a la centralisation et il y a les petits groupes
fragmentés, chacun sur sa « table », en train de faire des
« décisions » sur le projet le plus donnant, après vingt
minutes de discussion.
Les deux groupes avec sans doute le plus de vrai intérêt et/ou de
pouvoir matériel, les usagers et les sections du fonctionnariat chargés
de la logistique, de l’infrastructure et du planning urbain, n’étaient
pas là, les décisionnaires politiques non plus.
Au cours de la réunion, j’ai pu constater que la seule personne avec une
relative expertise dans le domaine de la logistique routière, la
mobilité et son impact social, c’était moi, basé sur le dictum de
Socrate qu’après avoir bien questionné les sages sur un certain nombre
de sujets, il s’est aperçu qu’ils ne savaient pas du tout de quoi ils
parlaient, tout en se faisant passer pour "autorités", tandis que lui,
qui en savait plus loin qu’eux, savait bien peu de choses.
Je me proclame donc fièrement « expert » à toute opportunité
maintenant, en notant que personne ne m’accorde cet illustre titre. Dans
un tel contexte de journée de réunion, cela aurait eu un bel effet que
quelqu’un avec la responsabilité dans le fonctionnariat local pour
l’entretien des routes explique à peu près en quoi ça consiste – et
combien ça coûte. J'imagine que ce serait difficile, pour lui,
d’expliquer combien cela coûte à la planète humaine, il y a le mot
« Jobsworth » en anglais, dans l’expression « it’s more
than my job’s worth », ce qui veut dire que l’on ne tue pas l’oie
qui pond les œufs en or. Dans le cas de quelqu’un pour lequel le boulot
consiste à faire couler le goudron à flots, en utilisant les machines
les plus grosses et énergivores possibles (économie d’échelle, comme
pour les supermarchés), pour créer des routes chaque fois plus robustes,
s’il faisait une analyse écologiquement et sociale cohérente, il ne
pourrait que démissionner – une sorte de Hara Kiri professionnel.
Reste que les seules personnes avec lesquelles j’ai pu avoir des
conversations sensées sur le sujet de la logistique et de
l’infrastructure, ce sont les professionnels, les ingénieurs des Ponts
et Chaussées, de l’École des Mines, tellement le sujet est invisibilisé.
Auparavant, la dîme, la corvée, les cantonniers locaux étaient aussi
des citoyens.
Dans la partie concluante de ce marathon, vers 17h30 le vendredi soir,
j'ai avoué ma profonde déception sur la journée, j’ai observé qu’elle
manquait de démocratie La démocratie participative nécessite aussi une
connaissance des causes. La délibération démocratique « a
besoin » de consentement éclairé.
C’est-à-dire que la thérapie cognitive de groupe est d‘abord de
s’apercevoir des vrais enjeux et quantités au centre de la matière dont
on discute.
Pour la vaste majorité des participants à cette journée, le principal
objet d’intérêt était « les sous » et « combien de
véhicules en plus est-ce que l’on pourrait acheter avec les sous ».
Je simplifie à peine.
L’astuce, pour arriver à un tel niveau d’insouciance et d’ignorance pure
et simple sur la base du sujet de la réunion, est d’abord de parler
d’une manière exclusivement auto-référentielle. Selon la méthode
néo-libérale devenue si classique que même la gauche radicale la
pratique, dorénavant, on établit des alliances de circonstance avec ceux
qui ont la même problématique – pas assez de « mobilité »
dans le cas de l’élite associative de la Lozère, pour eux et elles
spécifiquement, puisque leur méthode de travail est d’aller en véhicule,
souvent collectif, aux quatre coins de la Lozère sur les jours
successifs de travail de la semaine, ainsi évitant d’employer des gens
dans ces coins perdus. Chaque nouveau venant doit être équipé pareil,
dans le meilleur des cas, selon cette vision.
J’ai eu une vision personnelle de plusieurs professionnels et
fonctionnaires qui se décident qu’au lieu de faire une vidéo-conférence,
cette fois-ci, ils viendront faire un pique-nique sur le Mont Lozère.
La scène est de deux douzaines de mini-buses à gazole venus des
extrémités de la Lozère, en cercle, en coupe-vent, avec leurs
conducteurs, un par véhicule, au centre du cercle. Le titre de la
composition pourrait être « Faune du Parc Naturel de la
Lozère ».
Je note à la table de « mobilité Lozère », que vivre dans une
ville comme Florac, c’est vivre dans un endroit où tous les
fonctionnaires se vident à la fin de la journée ouvrable. Les forces
vives ayant évacué les lieux, la ville est raide morte, le soir, hors
saison. L'infrastructure et les résidences secondaires stagnent,
gentiment, pendant que les SDFs et les immigrés se gèlent, dehors.
La manière des élites locales « de fait » de manigancer les
opérations de telle manière qu’ils ne fréquentent jamais en groupe
participatif les populations théoriquement desservies, préférant
systématiquement des « ones on one », des interviews
personnalisés d’insertion sociale, des « projets personnels »,
ne cesse de m’étonner, c'est tellement flagrant. Nous n'avons qu'à
demander nos subventions - mais sommes-nous assez riches pour en avoir ?
Cela ne peut pas se passer autrement, si nous continuons d’exporter tous
les sous que nous gagnons en dehors de la Lozère, en pétrole, en
bitume, en portables, en véhicules. Le mieux que nous pouvons espérer,
c’est que les impôts récupérés sur le pétrole par les autorités
centrales nous reviennent – notre élite décisionnaire doit aussi avoir
du pouvoir dans l’exécutif central.
Tout bon fonctionnaire, associatif, et la pléthore des accompagnants
nécessaires, doit donc se dresser vers l’échelon supérieur pour attendre
les miettes qui tombent de la table, les « gens du coin » ne
comptent pour rien, sauf en termes de problématique, les transients ont
comme fonction de justifier les salaires de ceux qui les soignent.
D’où l’inconfort visible de cette élite « mobilité
lozérienne » de ne pouvoir compter que deux personnes, là, avec
comme seul titre « usager du système ». Encore plus tragique,
ni l’un ni l’autre était Lozérien, ils n’étaient même pas
« résidents », mais « dépendants » de l’une des
associations qui a lancé la journée. Pas très gai, si l’on voulait se
faire passer pour représentatif de quoi que ce soit, au niveau de la
population locale, pas d’échantillon très convainquant de la démographie
locale réelle.
Malgré les apparences, bien sûr, on apprend vite que comme pour les
entreprises fossiles comme Total, tout est rose et on fait le mieux
qu’on peut, dans la sincérité la plus absolue, bref, une autre
forme de greenwashing (grooming) mutuelle.
Témoigne l’attitude désabusé total des deux « usagers », le
« vote blanc » habituel, quoi, le rejet habituel de la
politique politicienne habituelle.
Le problème avec les élites locales rurales en France, je n’ai pu que le
noter, c’est qu’ils ne s’identifient pas du tout comme faisant partie
de l’élite. Ce qui donne parfois des conversations totalement
surréelles. Comme tout le monde, ils se trouvent attrapés dans une
logique infernale d’auto-justification sans fin, cherchant désespérément
des potes pour pouvoir se décontracter socialement – ce qui mène tout
naturellement à ce genre d’entre-soi exclusiviste. La seule chose qui
m’a vraiment frappé – et à beaucoup d’autres je le crois bien, c’est un
chiffre, 1 pour cent et demi de la population lozérienne utilise le
réseau de transport collectif public (les bus).
Tout ça pour ça. C’est vraiment très peu, un pour cent et demie, j'ai du mal à le croire.
Ne s’identifiant pas comme élitaires, dans leurs pensées, ils paraissent
ne pas noter qu’avec les catégories macroniennes – devenues courantes
dans la mentalité corporatiste de l’époque Macron, il suffit d’allouer
des catégories échelonnées, tels que « bénéficiaire », emploi
aidé, conseiller, professionnel, bénévole, CDI, etc., pour parvenir à
des niveaux de pouvoir sur le sort des autres qui ne ressemblent à rien
de plus que le pire des stratifications sociales du 18iême ou 19iême
siècle.
Pour obtenir des biens de subsistance primaires, logement et nourriture,
tu dois accepter l’« accompagnement » sur un « parcours
d’insertion sociale » ou, pire, un « projet personnel
d’insertion professionnelle ». Ce qui veut dire que tu vas toucher
des sous de l'état. Si tu refuse cet arrangement faustien, tu es sans
intérêt. Ce qui veut dire que tu te trouves devant quelqu’un de 25 ans
qui peut te rayer de la carte s’il ne t’aime pas. Tout le monde, sauf
celui qui détient le pouvoir, essaie d’être très poli à ce moment-là. Il
est intéressant de noter les abus de pouvoir, l’insolence, je dirais,
de ces petits fonctionnaires, renaître, dans le confort de leurs rôles
indémontables institutionnels. Il faut peu d’avantage social pour que
l’être humain moyen devienne un vrai facho.
Comme s’ils n’avaient pas compris, qu’ils ne voulaient pas comprendre,
que seulement ceux qui étaient assez riches pour se payer un véhicule et
l’essence qui va dedans pouvaient vivre en campagne. Que l’utilisation
réelle du transport collectif était si pitoyablement, abysmalement
réduite parce qu’il ne restait à vivre ici que des riches – des riches
qui se sentent pauvres, puisque au moins 8000 euros par an (véhicule
légal plus carburant, annuel) est le seuil d’entrée à cette société,
aujourd’hui.
Et vous en voulez plus ! Rassurez-vous que les cas sociaux qui
alimentent les professionnels, ils ne pourront plus tenir pied dans une
telle configuration socio-économique, sauf s’ils attirent des tonnes de
subventions, des doubles-RSA. Le travailleur agricole, il ne peut plus
tenir, logiquement – il n’y a que des machines qui font le travail, en
tous cas, la tribu de chasseurs à quatre quatre, autre élite rurale, se
pavane.
🖶
jeudi-vendredi 8 / 9 juin 2023
Scalar
Une question d’échelles ?
Je suis en train de rouler sur une route, dans l’occurrence l’avenue de
Toulouse, à Montpellier. A vélo. Une colonne de trafic monte lentement
la côté vers le grand M, il fait chaud, humide, la pollution est au max.
Je regarde par habitude le bord de route, où je trouve de temps en temps
des toutes petites pièces, en cuivre. Je les ai toujours trouvé
magiques et distrayantes, les bords de route, les lisières, ce sont
comme des livres ouverts sur les histoires des « habitants »
défilants. Plus rarement, des pièces en bronze. Très rarement,
bimétalliques. Je me demande si leur rareté est dûe principalement à
leur valeur relative, leur poids, leur visibilité, il y a sans doute une
courbe de distribution qui s’explique par plusieurs facteurs, ce qui
n’empêche pas qu’il y ait un ou eux facteurs qui sortent du lot, en
termes de prévision.
Mes errances doivent paraître assez bizarres, du point de vu des
conducteurs de voiture. Je m’arrête, j’attends que le file se mette en
motion, je rebrousse chemin, je récupère, tout en essayant de n’avoir
l’air de rien, comme le paysage. Je ne sais pas si c’est par pudeur,
mais c’est une route que je fréquente, à des horaires assez habituels.
Il se peut que je suis un personnage connu, dans les parages, pour cette
seule tendance, alors que les autres véhicules restent mutuellement peu
familiers, surtout que les couleurs noir et blanc et les formes très
similaires rendent la tâche d’identification sans intérêt.
Mes errances vont plus loin. Je vois une rue parallèle sur laquelle je
ne me suis pas encore aventuré, je m’y lance. C’est comme ça que j’ai
trouvé une pièce de 2, oui je dis bien DEUX euros, sur une route que je
n’ai jamais fréquenté auparavant. Juste parce que je suis allé
voir ! Est-ce que je suis le seul collecteur de pièces comme ça, et
qu’il eût fallu que moi, j’y passe, pour récupérer la pièce, restée
plusieurs semaines sur place ?
Peut-être les détecteurs de métaux seront les premiers à utiliser des
robots pour "tout prendre" et qu'ils ne sont pas passés par là parce que
ce n'est pas sur google, encore.
Peut-être vaudrait-il mieux le considérer du point de vu de la volonté
des parsemeurs de pièces – on les jette, on les perd, mais si la valeur
est suffisante, on est plus attentif, on les retient et on les récupère.
Dans des milliers de co-locs, un pot à pièces permet de condenser les
pièces les plus humbles, comme leçon de vie, pour, dans un cas
d’urgence, les compter et aller emmerder le commerçant du coin. Mais
sinon, on les jette, on les perd, partout où on va. Quelle insouciance !
Mes errances, je le ressens, ressembleront probablement aux errances des
fourmis ou des autres animaux qui cherchent du fourrage. Peut-être pas
aux patrouilles des prédateurs, autour de leurs territoires – qui
chercheront plutôt des points panoramiques, où l’on peut faire le guet,
sentir le vent, écouter les sons. Ce sont, en tous cas, des
« search patterns », ce qui n'est pas le cas pour les colonnes
de voitures régimentées.
La route majeure sur laquelle je me trouve est dédiée à l’expédition à
destination du maximum de véhicules par heure. Des
« échoppes » essaient de choper le trafic au passage, en
rajoutant des ronds-points aux ronds-points, des drives aux parkings,
comme du camouflage culturel. Le rond-point du grand M a aussi son petit
M, le Macdonalds, trois supermarchés, une salle de sports, un magasin
de bricolage, … Le vacarme est terrible, jour et nuit les
infra-sons nous vibrent.
Est-ce que, dans le monde non-artificialisé, il y avait de telles
affluences, de telles populations mixtes ? Il y a le bruit des
marées, des orages, des cascades et rapides, eau assourdissante à la
longue, le bruit de la pluie sur la tôle, symptômes de l’entropisation
et des franges d’interférence déchaînées.
Ou est-ce juste une folie passagère, d’essayer de faire se côtoyer des
voitures, des camions, des bus, des motos, des vélos, des
trottinettes ? On voit le stress que cela induit, de par la
multiplication et la ségrégation des voies : trottoir, piste
cyclable, voie de bus, route à voitures. Dans la version de luxe, on
rajoute un ou deux tramways. La surface latérale devient tout simplement
démesurée, jusqu’à cent mètres de large – ces voies prennent plus de
place que leurs destinations, mais sans aucun but d'efficacité
productive en perspective. La fin justifie les moyens, les moyens la fin
… à perte d'horizons. On amène de la glace aux tropiques.
Niveau temps de parcours, il se passe quelque chose d’intéressant, c’est
souvent le vélo qui prime. Les gens se plaignent que les vélos – et
d’autant plus les trottinettes – ignorent le code de la route, ce qui
est idiot – tout le monde ignore conscientieusement le code de la route,
y inclus ceux qui la construisent – surtout ceux qui la construisent,
par observation.
Sur l’avenue de Toulouse, on voit par exemple que la règle d’un mètre et
demie de distance entre les voitures et les vélos varie – parfois la
piste vélo s’arrête, coup net, comme si l’on avait abandonné la partie.
Parfois on cohabite avec les bus, parfois non. On m’a expliqué que les
voies de bus et pistes cyclables en rose, sont de couleur rose pour ne
pas trop offenser les automobilistes – ils auraient l’impression qu’on
les avaient envahi et volé « leur » route, si c’était du
jaune. Petit à petit, on me dit, avec un sourire malicieux.
On « ignore » le code de la route pour des raisons de sécurité
– si on ne l’ignorait pas, on mettrait tout le monde en insécurité.
Chantier oblige.
Dans ce monde de flux circulatoires, ce sont les agents individuels –
les voitures, les vélos, qui prennent les décisions. Ce n’est pas qu’il
n’y a pas de règles, au contraire, mais ce n’est pas le code de la
route, tel qu’il est écrit, qui gouverne – cela est juste le début de
l’affaire.
Et observablement, cela marche assez bien, il y a très peu de signes
d’agressivité, dans un contexte qui est plutôt fait pour en créer. Les
vélos et les piétons, on leur laisse la place, on ne les klaxonne pas.
Peut-être le code de la route, il a servi à cela, au moins, à inculquer
des valeurs, des valeurs aspirationnelles, de côtoiement sans
fraternisation. Et les accidents, on les évite … c’est très dangereux,
tu peux perdre ton permis, tu peux être démasqué. On pourrait même dire
que sans culpabilité, sans peur d’être découvert, le système ne
fonctionnerait même pas.
Mais ce qui se passe sur le trottoir est encore plus auto-réglant. Entre
le bâti et le trottoir il existe des fissures. Et ces fissures servent
d’autoroute pour les fourmis. Surtout à cette époque, d’essaimage et de
division de colonies, dans la chaleur et l’humidité, l’activité est à
son comble. Il y a plusieurs fois plus de fourmis, qui courent dans les
deux sens, sur ces voies uniques, que de véhicules humains à leurs
côtés. En les observant, tu te rends compte qu’ils ne décélèrent pas,
mais qu’ils font des déviations, à toute allure, ce qui fait l’effet
d’un débordement, sur les côtés, là où il pourrait exister blocage. Mais
gare à l’humain qui fait ça, il risque d’être très mal vu !
C’est cependant un peu ce qui se passe lorsque tu as plusieurs types de
véhicules sur la même route, ils adaptent leurs parcours, de seconde en
seconde, dans des équations et des calculs vectoriels chaque fois plus
complexes, en apparence, mais qui obligent, à partir d’une certaine
saturation, à réduire la vitesse, jusqu’à ce qu’elle s’approxime à celle
des plus lents. La monoculture de la haute vitesse se plie à la
monoculture de la vitesse constante, comme avec les fourmis, dans une
certaine harmonie rythmique.
Il n’est donc pas par pur hasard que le vélo devient le véhicule le plus
rapide, dans ce contexte. Il est le plus rapide si, dans le système
globale « route », son existence est accommodée. Sans oublier
les fourmis, qui avancent peut-être aussi rapidement que les voitures,
en termes réelles, aux heures de pointe.
Après le grand M, cela devient une autre affaire, qui se ressemble à une
voie express, qui s’attache à un autre rond-point où des vraies voies
express et des vraies autoroutes commencent à s’établir.
Ici, les règles changent dramatiquement, le vélo n’a pas plus lieu
d’être sur ces voies qu’un véhicule en contre-sens. L’affluent devient
fleuve, à la confluence.
Ici, je décris une sorte d’écosystème qui émerge du seul diktat
« route », route à voitures, route à faire que les voitures,
elles roulent. Le reste, c’est du bric-à-brac, des vaines tentative de
faire que la monoculture « voitures » existe encore, mais qui
mettent en évidence tellement de variables externes que dans son
expression même, la route ne ressemble plus guère à son objectif
déclaré.
Maintenant, tournons le regard sur les variables quantifiées, parce
qu’ici, de nouveau, les objectifs ont été subvertis. Les véhicules font
pleuvoir des déchets sur la route, elles écrabouillent et rendent en
poussière et en fumée des parties d’elles-mêmes, principalement les
pneus et toutes les autres parties mouvantes, son essence. Celles-ci
s’accumulent, s’incrustent dans la matière même de la route, créent des
vernis, tuent les voisins, ce sont les « externalités » du
système « route » qui deviennent, néanmoins et cumulativement,
ce qu’est la route, noyée dans ses déchets.
Pour moi, ce sont des pièces de 2 centimes. Pour les fourmis, ce sont
des miettes. Bien que j’ai vu une fourmis en train de manœuvrer une
plume de vingt fois sa taille, cet après-midi, je méconnais les raisons,
je ne sais pas ce qu’elle voulait en faire, de la plume. Mais je sais
que les objets d’intérêt, pour une fourmi, sont tout autres que pour
moi, au point que pour moi, ils sont invisibles.
Dans un contexte naturel, une piste, une route, un chemin, c’est un
« centre de broyage ». Du fait, tout simplement, que l’on
marche dessus, qu’on la piétine. Des êtres vivants se sont saisis de
cette opportunité pour faire communauté. Les tubercules du trèfle,
comprimés et piétinés, dégagent de l’azote, ce qui intensifie, avec les
déjections des animaux, la fertilité aux deux lisières du chemin. On
voit le même phénomène en archéologie. Dans les anciens habitats
humains, on peut connaître les périmètres d’une hutte du fait que le sol
est plus riche et noir – c’est ici qu’ont atterri les détritus de la
vie de ses habitants.
Fatalement, sans plan, mais avec des résultats plutôt très utiles pour
tout le monde. Il faut chercher dans les choses les plus banales et
prosaïques, comme l’accumulation de débris autour des axes d’activité,
la base d’écosystèmes et de formes de vie les plus complexes. Plus ça
brasse, plus ça produit.
Plus c’est une route, plus ça produit, aux marges.
Sur un sentier, par exemple, on verra, à la bonne époque, des quantités
innombrables de petits monts de granules – de sable, d’argile, avec des
cratères. Ce sont les œuvres des fourmilions, qui se nourrissent des
fourmis qui tombent dedans.
On se demande comment toutes ces bestioles arrivent à éviter d’être
écrasées par les pieds de ceux qui passent. De nouveau, en étudiant les
réactions des fourmis, comme celles des moustiques ou des mouches, on se
rend compte compte du point auquel leurs jugements et leurs réactions
sont finement jugés. Pour eux, le geste le plus rapide humain est d’une
lenteur telle qu’il est facile de le prédire et de l’esquiver. La seule
manière de leur tromper dans leur réactivité est de faire approcher
l’objet – la main, le pied, de tous bords pareil, ce qui empêche le
calcul d’un vecteur d’échappement, avant qu’il ne soit trop tard pour
l’exécuter. La tue-mouches, blanche, avec ses plusieurs petits trous,
profite du même phénomène – la mouche est obligé de calculer les
plusieurs potentiels trous de secours, objets amovibles, pour s’y
échapper, avant de se rendre compte que ces trous, malheureusement, sont
trop petits pour elle. On l’a débordé d’information, pour la piéger.
théorie des catégories de nouveau
La théorie des catégories, dans la mesure que je la capte, ne parle pas
d’échelle, mais de catégorie – dont l’échelle n’est que l’un des aspects
déterminants potentiels.
globalisation
La globalisation est devenue un sujet de plus en plus en vue, dans les deux dernières décennies.
Il y a un entre deux – entre : « analyse catégorielle »
et « analyse scalaire », que j’appelle
« cohérences » - désolé s’il se trouve que c’est devenue toute
une discipline, dont je n’ai rien entendu. En tous cas, l’échelle – la
magnitude, la quantité des choses, d’un endroit à autre, est largement
insuffisant comme trame d’analyse et les « scalars » (les
mesures de volume, de vitesse, de masse, etc. ) servent,
mathématiquement, comme bases pour une analyse vectorielle d’un système –
ils sont les paramètres fixes qui permettent de mesurer la performance
du système en mouvement, tout comme la route est la base statique qui
permet le mouvement, les flux.
La globalisation est devenue un sujet brûlant parce qu’on a vu que le
cumul des plusieurs choses que l’on fait à plus petite échelle, qui ont
des impacts de plus en plus forts, potentiellement catastrophiques, au
niveau global, c’est-à-dire pour nous tous.
D’autres mots qui s’invitent dans ce contexte, sont des mots comme
« holiste » ou « dynamique », des analyses qui ont
plusieurs référents, plusieurs échelles, des mailles, des nœuds, des
interactions – ici on s’approche de la raison d’être d’une théorie des
catégories.
En fait, une analyse « top-down », une analyse
« réductionniste », une analyse avec des tenants et des
aboutissants imbriqués dans sa définition, prenons l’exemple d’une
« route à voitures », ce genre d’analyse et de projet est, on
le voit bien maintenant, voué à l’échec. Tout ce qui a été considéré
comme secondaire ou marginal au but central ne cesse d’accumuler – et de
poser problème, de devenir LE problème.
De poser problème, surtout pour nous. La route, elle est clé, elle
concentre l’accumulation de problèmes, elle est surtout une axe
d’évolution rapide, où l’aptitude (« la survie du plus apte »)
compte réellement pour quelque chose. On ne sait ni comment ni
pourquoi, exactement, mais on sait que les fourmis choisissent de se
mettre dans les fissures au bord non-route du trottoir, par exemple.
Pour elles, cela évite de se faire écraser et cela donne l’accès aux
deux côtés, aux surfaces des deux côtés de leur autoroute à elles. Il y a
quelque chose de hypnotique à voir ces rubans d’apparence tressée,
composées de milliers d’individus qui courent, la moitié à la verticale,
sur les murs, et avec aplomb.
Mais c’est peut-être pour une raison tout autre, et plus fondamentale
encore, qu’elles ont choisi le trottoir, côté maisons. C’est à cause de
la gestion de l’eau – de l’humidité. La route est construite de telle
manière qu’elle est supposée étanche, depuis le début du dix-neuvième
siècle. L’eau de ruissellement pénètre dans les fissures au bord de la
partie imperméable et c’est donc là que tout devient possible, niveau
« vie », d’autant plus qu’il y a l’abri au sec, sous la route,
tant recherché par les insectes. Ils se sont placées à la frange, à
l’interface entre ces deux mondes, le seul accident de terrain qui
compte, dans un écosystème route.
Les fourmilions (environ 2000 espèces d’insecte dans la famille
névroptère des Myrméléontidés) donnent la contre-partie – de toute
apparence, ils acceptent le risque et se distribuent là où ils peuvent,
étant sédentaires, et s’il y a beaucoup de trafic, ils vont, fatalement,
on pourrait dire, ceux qui survivent, se trouver plutôt aux bords du
chemin, c’est la mérite d’être marginal. Si c’est elles qui sont là et
pas quelqu’un d’autre, c’est que leurs trous donnent quand même un peu
de protection contre la compaction des pas, et elles ont une source
prolifique de nourriture (les fourmis). Leur cycle de vie, dont l’état
larvaire ne fait qu’une partie, est rythmée aux cycles de pluie et de
beau temps.
Au bord du chemin, le détritus, le sable, les nombreux éclats de verre,
le kératine des milliards d’insectes brisées, le calcaire des escargots,
l’hémoglobine du sang, s’accumule avec chaque crissement de pneus, pour
devenir, grâce aux intervenants, terreau fertile, mobilisé, métabolisé.
La vie se construit au bord des chemins et donc des routes, qui ont
toujours été des broyeuses, des brasseuses de la vie et de la mort.
On peut voir que, en prônant une technique et pas une autre, pour
accepter les charges chaque fois plus imposantes de nos véhicules sur
nos routes, la technique du bitume et du calcaire zéro trente qu’est
devenue cette technologie, bref, cette création d’une monoculture de
fait a radicalement altéré l’« écosystème route », sans aucune
intention de le faire et avec des conséquences, pour l’équilibre de
cette vie des bords de route, tout à fait non-anticipées – ignorées ou
dépréciées par les décisionnaires.
L’écosystème « route », je le dis, sachant qu’aucune
reconnaissance officielle est accordée à ce concept, parce qu’elle n’est
pas assez « matérielle ».
Si la seule finalité d’une route était d’expédier des véhicules avec de
plus en plus de réussite, parce que de plus en plus efficaces, rapides
et sécurisés, entre point A et point B, si c’était celui-là, le seul but
de la route, elle serait comme elle est, on me dirait. Autrefois
c’était pareil, on n’avait pas les moyens d’aujourd’hui.
Eh bin ? On a les quantités. L’artificialisation des sols, c’est la
route. L’artificialisation des bords de route, d’autant plus. On dit
que l’on vit dans l’Anthropocène, parce que c’est l’anthropos – l’Homme,
qui a l’impact le plus dominant et durable sur la géologie – sur la
Terre – il est devenu une « force naturelle majeure ». Du
genre qu’on ne paye même pas les assurances pour ses dégâts
( ! ), ce qui relève de la déresponsabilisation collective,
par incohérence. « L’être humain est comme ça, n’y a rien à y
faire, … ».
Eh bin ? En termes physiques, c’est au bord de la route que se
trouvent la plupart des impacts des humains sur l’environnement. Dans la
mesure que l’on étend son rayon d’action, sa fréquence, sa vitesse, on
multiplie la magnitude des conséquences, des impacts, de ses actes.
Je parle au singulier, mais les routes, c’est un effort conscient de démultiplier ces actes.
L’objectif des routes, c’est de faciliter le distanciel. L’écosystème
« routes », existe parce que cette volonté démultiplicative
existe. Et chaque point sur ces routes, ces réseaux routiers, est moulé
autant par cette raison d’être que par sa réalité physique si
transitoire.
On n’a qu’à considérer la culture romaine – connue pour son usage de
béton et ses routes pavées et droites, toujours dans le but de
connecter, à des distances de plus en plus grandes, à des échelles de
plus en plus vastes, sa logistique de commande.
« Si la seule finalité d’une route était d’expédier des véhicules
avec de plus en plus de réussite, parce que de plus en plus efficaces,
rapides et sécurisés, [ … ] »
Je l’ai dit et je le répètes ici.
Parce que, très clairement, cela ne peut pas être le seul but. La
globalisation veut dire « ça ». Comme un intrus à la fête.
C’est une manière de dire que tout est multifactoriel, et qu’il faut en
tenir compte, lorsqu’on construit des infrastructures, surtout des
infrastructures qui entretiennent ou font émerger une
« monoculture ». On ne peut pas s’abstenir du débat, lorsqu’on
se trouve face à une monoculture meurtrière.
Je peux convertir cette idée en termes dites « physiques » ou
« concrètes » ou tangibles », avec des mots comme
« biomasse », des volumes, des statistiques – mais est-ce que
je dois vraiment le faire ? Est-ce que je n’ai pas déjà assez dit
pour que l’on voit qu’une petite chose, une bifurcation dans l’évolution
des fourmis qui les permet de choisir le trottoir, côté maisons, peut
permettre à la « biomasse » des fourmis de monter, par des
tonnes et des tonnes, et avoir son effet, également démesurée, sur
l’infrastructure dite « route » ? On m’a raconté qu’à
danser toute la nuit sur de la terre battue, une foule a baissé le
niveau de cette terre par dix centimètres. Essayez une fois de vous
placer près d’une route où passent des camions, allongés dans le sens de
la route. Vous sentirez la terre fléchir, à chaque passage, de chaque
essieu.
Ne ferais-je pas mieux d’étudier, de très près, les fourmis, si mon
objet était de comprendre le fonctionnement de l’écosystème
« route » ? Peut-être que oui, peut-être que non – les
fourmis, mais quoi en dire des bactéries, ou des virus (!) ou de toutes
les matières transportées, ou emportées, d’un lieu à autre, comme par
une rivière ? Que dire du vent ? La liste de candidats est
longue, aussi longue que la route, qui devient centrale à l’activité de
la biote. N’oublions pas que la route, c’est aussi « les
routes », là où des formes de vie ou de non-vie établissent un axe
de mouvement, il y en a d’autres qui le parcourent et les humains, avec
leurs œuvres routières, comme avec leurs chemins de fer et leurs canaux,
ouvrent ou créent d’autres écosystèmes, dont profitent d’autres formes
de vie.
Il y a enchevêtrement des cadres logiques d’analyse, et répercussions entre échelles, cela est clair.
Mais concentrons-nous sur les effets de l’humain. Heureusement, elles
sont concentrées auprès des routes – si elles étaient également
distribuées partout sur la terre, le défi serait d’autant plus grand,
mais dans l’occurrence, la proportion de débris dans les sous-strates
atteint des niveaux où il est possible de les miner – de les extraire.
La pollution que nous avons créée, nous avons toute possibilité de la
traiter, parce qu’elle est surtout aux bords des routes. Il est plus que
probable que des formes de vie, comme les fourmis, sont déjà en train
de faire ce sale boulot pour nous – pourquoi réinventer la roue ?
Traiter cette lisière comme un écosystème, c’est tout-à-fait logique.
Cela positivise l’affaire – on refait vivre, on assainit dans le but de
refaire vivre, avec toutes les réserves possible sur le sens de ce mot
« assainir ».
Et où se trouve la voiture, dans ce mixte de priorités ? J’ai envie
de dire « nulle part ». Ses atouts majeurs, telle qu’elles
sont conçues actuellement, deviennent, écologiquement parlant, ses
défauts principaux.
Elle va trop vite. Elle ignore tout sauf la destination. Elle ne fait
pas partie, au contraire, elle coupe à travers l’écosystème, alors
qu’avant, elle en était la force motrice, ce couloir de vie qui
s’appelle une chemin, une voie, avec deux lisières.
La route est un écosystème comme les autres
La faute, notre faute d’intelligence collective, jusqu’à là, a été de
considérer les écosystèmes comme des unités surfaciques,
non-vectorielles, alors que tout indique le contraire – les surfaces
s’étalent à partir des lignes – des trajets des êtres vivants – et rien
n’empêche les surfaces elles-mêmes de bouger, de s’étaler, de se
transposer d’un lieu à d'autres. Une réserve naturelle ne sert plus si
elle est débordée de tous les côtés par un sol artificialisé.
Pour cette raison on parle de « corridors », de couloirs
écologiques, qui permettent à se rejoindre aux îlots de biodiversité. On
analyse la migration des oiseaux sous l’optique des gîtes de passage
qui leur permettent de continuer ces rotations. Etc. Un exemple d’une
réserve de biodiversité, c’est le mangrove, un écosystème très riche,
très distinctive, qui protège les côtes de l’érosion.
A Toulouse, et dans d’autres villes, on essaie de récupérer les rives
des rivières pour la ripisylve – « l’ensemble des formations
boisées [ … ] qui se trouvent au bord des cours d’eau ». Ce sont,
après tout, des voies publiques écologiques, ces rubans de végétation
ininterrompus, au bord des flux d'eau. Dans un autre article ( textes des rives
), j’examine ces mêmes cours d’eau en tant que véritables routes
( thoroughfares - artères ) multifonctionnelles. Dans ce cas,
c’est le milieu, l’eau elle-même qui bouge, constamment – il n’existe
pas de plan d’eau – de l’eau qui stagne – sans qu’elle ait préalablement
bougé.
Que les rivières, marais, anciens bassins de captage des moulins d'eau
et autres milieux aquatiques ne soient pas un "ensemble d'écosystèmes à
défendre", dans toute leurs diversités et complexités, ... comment ne
pourraient-ils pas l'être, imbriquées comme ils le sont dans le paysage,
enveloppées dans leurs ripisylves ?
Une mégabassine, dans cette analyse, est un archaïsme. Il est là pour
"capter" des mêtres cubes d'eau, les enlever de tout dialogue avec le
milieu. Comme les tuyauteries qui les abbreuvent, ils contiennent de
l'eau morte.
Ce sont des véritables mètres cubes: la seule raison d'être de ces "conteneurs" est de contenir des volumes d'eau.
Sur un autre sujet, pas si anodyn, il y a la question de la production alimentaire - nourrir le monde
- pour lequel l'accès à l'eau devient LE sujet à penser, avant tout. On
parle de l'agroécologie. Mais c'est un peu comme le terme exploitant agricole,
ou "agroforestrie", une contradiction dans ses termes. Une autre
agriculture n'est pas possible, elle est à ce moment-là mal-nommée.
C'est du jardinage que ça traite, pas de la culture des champs mais de
la culture des petits espaces, pas nécessairement horizontaux, des
clairières, par exemple. On peut dire horticulture, si l'on veut (hortus=jardin) y mettre un mot en latin. Rien n'empêche, ..., mais pas agriculture, qui est une autre histoire.
Larzac est un bon causse parce que c'est comme s'il avait subi toutes
les affres du destin et il est encore là. Toutes ces interventions de
l'humain, en terre maigre et sèche, plein de cailloux. Et, dès qu'il y a
un creux, de la vie enrichie. Les routes à voiture sont austères,
droites, exposées aux éléments, dominent maintenant le paysage par leur
horizontalité.
C'est de la fin de l'agriculture que ça traite, dans ces terres à la
fois agricoles et jardinées. Plus de présence humaine ici produirait
plus de par-vents, plus d'humidité, plus de milieux de vie, y inclu
celui de l'eau à l'état liquide. Issue de notre ingéniosité, la vie est
dure gagnée sur le Larzac, depuis des siécles.
Pour cela qu'ici, c'est le paysage même qui nous donne des indices et
des prémonitions sur l'aridité et la garrigue qui nous attend, à
l'avenir, ailleurs en France métropolitaine. Si l'écologie est une
guerre, mieux vaut former les soldats écologiques dans ce terrain
d'entraînement que le laisser à la zone militaire, c'est une question de
vie et de mort !
Living Labs
... est une appellation officielle permettant l'opération d'"expériences
écologiques" exemptées du cadre réglementaire normatif, pour des
raisons de recherche et d'expérimentation. Cela permet l'étude, par
exemple, d'habitats jardinés par des jardiniers de passage, avec des
refuges de jardinage, analogues aux réfuges de montagne ou aux huttes de
chantier dans leur fonctionnalité.
La mobilité douce ainsi proposée permet de tester ces habitats
productifs adaptés à ces types de mouvement, à pied et à vélo. Une
infrastructure écologique est une infrastructure qui a un bilan positif,
écologiquement, et en particulier en termes de son bilan énergétique et
dépendance industrielle.
🖶
vendred 13 / samedi 14 octobre 2023
L’auto-ségrégation de l’espace-temps dans une petite ville de la campagne française
Le lecteur attentif saura déjà de quoi on parle : de l’automobile.
C’est à partir de lui que l’auto-ségregation se détermine. Il décide non
seulement de la présence ou l’absence des gens dans des lieux
déterminés, mais aussi de qui déterminera et qui se soumettra à cette
détermination. Les riches en mobilité détermineront. L’autonomie ou
« auto-mobilité » des uns deviendra l’esclavitude
spatio-temporel des autres.
L’erreur que l’on peut faire, dans l’analyse de ces phénomènes, et de
séparer les flux (les automobiles et les routes) des lieux (les
soi-disants « centres »). Tout lieu est un lieu, chaque mètre carré de route aussi. Les
communications vont d’un lieu à autre, en passant par des lieux. On a
maintenant plusieurs lieux qui sont sous-utilisés, surtout
« utilisés » par des membres de l’élite. Il faut analyser flux
et lieux en même temps pour comprendre comment ça marche. Il existe un
outil pour cela : le vecteur.
*nota – les églises et temples – les lieux de culte, restent vides la plupart du temps, actuellement. Ces lieux sont souvent
sujets au pouvoir décisionnaire des communes dans lesquelles ils se
trouvent. Le blocage de ces lieux est un précurseur et révèle le
problème du "sens" - que v-a-t-on faire d'un lieu désigné pour un usage,
pour lequel il n'est plus utilisé?
Vecteur de transmission
On pense ici tout de suite aux virus, des objets tangibles, qui
« se déploient » ou qui sont déplacés à des vitesses et des
distances variables (répansion).
Mais le virus n’est « que » de l’information. Il in-forme, il promeut ou il déclenche de l’activité.
*nota – j’ai entendu un reportage ce matin sur l’assainissement de
l’air extérieur dans une cour d’école moyennant des extracteurs de
particules fines - mais de quelles particules se traîte-il ? Par
exemple, le levain dépend des ferments naturels, des levures qui se
trouvent dans l’air. Comment discriminer les particules que l’on élimine
de celles que l’on retient ? Tenant en compte que les particules
vivantes ont déjà des plans d’action là-dessus ?
string theory (théorie des cordes, nœuds de vipères, singularités)
Entanglement (intrication, emmèlement, enchevêtrement). Pour désemmèler
un nœud complexe dans une corde, nous avons l’habitude de chercher à
tirer des bouts du noeud en extension pour mieux voir celui qui va où,
le faire passer dans l’autre sens, jusqu’à ce que la ou les cordes
soient désemmèlés (unravelled) de nouveau.
Une partie du phénomène de blocage vient du fait qu’un fil (corde,
ficelle) ne paraît pas avoir beaucoup de propriétés à part celle d’être
linéaire et tensile, en extension, mais dans un nœud son épaisseur, sa
flexibilité assument de nouveau une importance critique. Ces propriétés
sont bien physiques, dépendent bien de l’organisation de la matière
physique et peuvent facilement se voir de l’oeil humain. Si je dis ceci,
c’est pour rappeler qu’il y a les métaphores et il y a les phénomènes
réels. La matière physique n’est pas juste une question de quantité,
mais d’organisation, à toute échelle. Pour autant que je sache, la
description d’un filet comme « une quantité de noeuds » manque
de valeur explicative.
Des goulets d’étranglement
Il est étrange et signifiant, pour moi, que l’on peut noter, à partir de
2013, une montée de l’importance et un subtile changement du sens des
mots « facile » et « confort ». Facile devient
l’antonyme de compliqué, pas difficile. Le confort s’associe fortement
avec la facilité. Ce duad est vu non seulement de manière positive, mais
de plus en plus comme essentiel.
Mon hypothèse serait que la surcharge mentale et le manque d’autonomie
de choix n’ont pas été les premières concernes des humains pendant la
plupart de leur histoire sur terre, et ceci, pour une raison assez
simple, la prise en charge de la plupart des problématiques était déjà
déterminée par « le paysage », par nos interactions avec
celui-ci.
Mon hypothèse est que les affres de la vie moderne sont arrivées à un pic
où, comme des nœuds dans le flux informationnel, les problèmes qu’elles
représentent sont à la fois vitales, iressolvables et sans fin - des « flux tendus ». On perd
donc de l’autonomie et du contrôle, dans sa vie réelle. Le
rétablissement de cette auto-détermination et cette
« tranquilité » devient le but central. Le conflit essentiel
est entre la priorité individuelle et celle du collectif. Les plus
fortes associations d’individus sont celles qui ont comme but de
favoriser l’autonomie individuelle de leurs membres.
Chacun décide – c’est l’axiome du marché libre, mais le « goulet
d’étranglement » est devenu l’accès à l’hyperconsommation, plutôt
que l’auto-déterminisme par le transport de son corps soi-même, en
rélation avec d’autres corps, comme dans le cas du virus. L’information
déterminante, par rapport à sa sécurité, sa liberté d’association est
déterminée par l’accès à une panoplie de ressources, un paysage, un
environnement, qui n’a que très peu de relationnement avec son pouvoir
physique, sinon ses pouvoirs extensiles, apportés par des machines
personnelles. Le prix d’entrée dans cette économie de choix devient de
plus en plus élevé.
L’analyse spatio-temporel de cette économie est révélatrice, elle montre
que c’est l’espace-temps qui s’est trouvé asujetti à des flux vectoriels qui
ont de moins en moins de rapport avec les faits sur le terrain. Notre
poursuite de la richesse qui nous achète l’autonomie devient elle-même
la cause de notre déroute. Il faut peut-être mentionner que cette
analyse démontre que l’essentiel, pour nous, reste le même, le cadre
reste l’espace-temps, ce qui est recherché – la motivation, également.
Les instruments d’analyse que j’emploie sont familiers, touchant à
plusieurs disciplines, la mathématique pure, l’urbanisme, le numérique,
les sciences du vivant, la logistique, la physique, le physique, pour commencer. Mais
ce cadre analytique permet d’expliquer dans une trame unique d’analyse
le lien causal direct entre la crise écologique et la crise sociale. Les
résultats sont directement mesurables – la manière d’occuper la terre
des riches crée des espaces désoccupés, par les humains et par le vivant
en général, ensemble. Ce n’est que lorsque l’analyse devient
« vectorielle », traitant de l’espace en fonction des mouvements
dans le temps, que le signal devient clair. La campagne, le silence.
Les hectares de sol nu, pulverisé, occupé par des fines couches d’herbe,
ou par des monocultures. Des réserves, des mégabassines, des lieux
bâtis, tous en attente, … des riches. Pour qu’ils n’y fassent, …
essentiellement rien, ou rien de bon.
Notre campagne est devenue celle-ci.
🖶
dimanche 8 octobre 2023
Essais enfin du monde – carte de l’espace-temps
Memorandum : à usage strictement interne
étude :
L’utilisation de l’Espace-Temps dans une petite ville de campagne-désert dans la ruralité industrielle française
Je vais la décrire, aux cartographes de la réaliser. Je m’excuse pour le
mode constatationnaire de l’écrit, c’est plus court et plus clair comme
ça. C’est juste un effet de style pragmatique pour l’écrivain, pas pour
le lecteur, qui peut le trouver exaspérant, sans doute. Certaines fautes
cardinales ont été commises pour intimer que c’est peut-être une IA
malajustée qui l’a écrit. A vous de juger, si vous voulez bien.
La carte principale consiste en une série de cercles de taille,
remplissage et couleurs divergeants, parfois superposées et représentant
l’occupation réelle humaine des lieux, tout lieu, en fonction des
critères de temps d’occupation, profile des occupants, et ainsi de
suite. Un bureau ne sera utilisé que pendant la journée ouvrable, par
exemple. Un accueil de nuit ne sera ouvert qu’à l’hébergement du
titulaire – autre exemple. La catégorie socio-économique des occupants
de l’espace burotique sera celle de fonctionnaire moyen, etc. Le bureau
aura un taux d’occupation de 20 % du tout-temps, disons, dans le
meilleur des cas. Une salle de fêtes aura, typiquement, un taux
d’occupation de proche de Zéro, même quand on rajoute le co-efficient
Karaoke, ou, encore plus impressionant, Bingo.
On pourrait toujours diviser le temps d’une journée en diurne et
nocturne, suivant l’hypothèse que même un super-riche, endormi, n’a pas
besoin de plus de place que celle qu’il occupe allongé pendant la durée
de son sommeil. Cela pourrait donner des résultats plus productifs et
réalistiques de l’espace occupé par rapport aux besoins. Je pense aux
masures des paysans, à l’ancienne, qui ne s’utilisaient que pour dormir,
puisque on était toute la journée dehors. Qui est dehors ? – autre
question potentiellement fructueuse. Faut pas juger la qualité de ces
habitats d’antan par les mêmes critères que celleux d’un?e troglodyte
moderne nocturne, comme nous le sommes toustes devenu/es. A intégrer au
calcul.
Un café spécialisé « habitués » et ouvert sans pause, lui, aura un taux
d’occupation plutôt respectable, de l’ordre de 50 %. Il y a intérêt à
faire figurer le nombre d’occupants à une période donnée et donc la
densité d’occupation sera représentée aussi, je ne sais pas exactement
comment. La taille du cercle réprésentatif augmentera ou diminuera,
comme sur n’importe quelle carte pulsante qui tente de représenter la
taille rélative des métropoles au niveau mondial, par exemple.
N’oublions pas que chaque carte est orientée autour d’un but défini,
mais que chaque carte dépend aussi des données collatées et disponibles.
Le census national, par exemple, à part le fait qu’il est presque
toujours surannée, d’autant plus en période de fort changement
climatique (fuites des réfugiés, catastrophes naturelles, etc.) fait que
le taux d’occupation, ou de résidence, ou de domiciliation créent la
vision de qui est chez soi, à la campagne – la population rurale
supposée. La carte que je propose montrera que ces mesures sont
caduques, parce qu’elles ne réflètent aucunement la réalité de cette
occupation. C’est important, les revenus disponibles pour desservir les
communautés de communes dépendent de ces chiffres qui sont susceptibles
d’être manipulés, dans un sens ou un autre.
Et puis viennent les co-efficients. On peut correler la richesse – le
revenu par exemple, des occupants de l’espace-temps de la petite ville.
On verra que les bars centraux sont peuplés de personnes rélativements
opulents, par exemple, et que les demeures de ces derniers auront un
taux d’occupation de presque zéro, puisque quand ils ne sont pas au
café, ils occupent plus l’espace-temps de leurs voitures, leurs voisins,
lieux de travail et lieux de visite que leurs domiciles devenus assez
théoriques, finalement. Même à domicile, au travail et en véhicule, ils
ne sont pas strictement là, ils sont au monde connecté. Là, c’est
simple, on a un coéfficient « heures sur écran ».
Leurs véhicules leur permettent de visiter, toujours plus vite, plus
loin – ces véhicules divers faisant, eux aussi, partie des occupations
d’espace-temps représentées sur la carte. L’espace d’une voiture est
relativement petite, elle en dispose, pourtant, d’énormément d’espace,
sur ses trajectoires. Et en fait, cet espace occupé non-occupé, la
chaussée, est maintenue vide pour qu’elle passe, ce n’est pas rien. Une
route a une largeur et une lisière, c’est plus un ruban qu’une ligne,
quelle est sa dimension latérale ? Quelle allocation donner à
l’occupation de cet espace-temps linéaire rubanesque, sur une graphique ?
La grande majorité du temps, la chaussée, c’est de l’espace mort, dédié
à pratiquement un seul type d’usage, le passage voituresque, parfois
qu’une ou deux fois par jour. Comment interpreter cela, sur une carte ?
Est-ce que le vide de cet espace l’occupe, comme le vide d’un parc
régional naturel s’occupe de rien, sauf ses gîtes désoccupés ? Comment
justifier la construction de quelques kilomètres d’autoroute pour
l’usage de quelques voitures ? N’y-a-t-il pas la possibilité que la
vraie utilisation de cet espace, c’est de fournir un prétexte pour
augmenter la consommation, côté production, prétexte récréation, à la
marge : transport ?
Les routes rurales auront donc en général une occupation proche de zéro
aussi. La corrélation de richesse et d’occupation en révèlera, des
choses. L’espace-temps du désert rural, il transparaîtra, est « occupé
», très largement, par des habitants qui ne sont pas là. Curieux. Ils
occupent sans occuper. Où sont-ils ? Peut-on les représenter comme des
étoiles filantes, un peu partout à la fois, au hasard ?
N’est-ce pas qu’une zone inoccupée présente moins de problématiques par
rapport à la liberté d’action estatale et privée qu’une zone saturée de
gens ? Y-a-t-il lieu pour la création d’une carte de liberté relative,
rélative à l’occupation d’espace-temps localisé dans un lieu donné, pour
discerner bien le profile socio-économique des populations qui en
bénéficient le plus de cette liberté ? Comme cela on peut s’attaquer à
la question sensible d’autonomie de choix. Qui a vraiment le choix ?
Une étude rapprochée indiquera que le riches réussissent à relever le
défi, malgré cette abondance de moyens, de l’occupation la plus dense de
petits espaces dans les grands espaces qui leur sont disponibles, pour
établir l’encadrement social qui leur permet d’appliquer un rapport de
force, des points de condensation soudaine comme dans le Blitzkrieg.
Pour cela qu’ils ont l’impression de l’insupportabilité de la foule
pressante, alors que les pauvres ont l’impression inverse, d’être dans
un monde de non-sollicitation de leurs dons. Ce sont des mondes
parallèles, où les pauvres vivent « chez » les riches, « grâce » à leur
générosité, en se taisant, pour ne pas gèner. Qui vit chez qui, comment
cela se définit ?
Là où il y a le moins de taux d’occupation, mesuré sur l’axe de
l’espace-temps, ils y seront, groupés, les riches, mais seulement de
temps en temps. Leur boulot principal ? De construire de plus en plus
d’endroits d’espace-temps, magnifiquement approvisionnés en tout ce
qu’il faut, ateliers, fablabs, bicycleries, cafétières, chaises, tables,
... qui restent résolument vides la plupart du temps, mais qui
témoignent, passivement, de l’influx de riches, venant coïncider
sporadiquement de nulle part en « locale », par la magie des téléphones
portables et des transports inter-city. Là il y a plein de liens
improbables qui se visibiliseront s’ils sont représentés sur la carte.
La sporadicité des mouvements des riches est nécessaire d’abord pour
aligner les forces. Les pauvres sont obligé de les chasser à ce
moment-là. Un bon indice de ce phénomène pourrait être de calculer qui
attend pour combien de temps une visite urgente chez le dentiste, et à
combien de kilomètres de chez lui? L’arrhythmicité des actes
présentielles des riches se fait aussi parce que, sinon, on risquerait
de voir des noyaux durs d’occupation, de libre association et de
communication entre pauvres, sapant le pouvoir rélatif qui définit et
établit le riche en selle.
La dépériodisation ou dérégulation est donc une autre facette de cette
trame de pouvoir nécessaire pour la protection et le renforcement du
pouvoir des riches – et leurs attendants, moyennant la précarisation et
la dérégularisation des activités en commun en général, pour les rendre
ponctuelles et ciblées. On peut aussi appeler ce phénomène
l’événémentialisation progressive de toute rencontre.
Un exemple de ce phénomène en marche que j’ai vu récemment est
l’affichage des horaires de permanence régulière d’une association sur
la porte de leur nouveau lieu d’accueil, extensif et luxurieux, suivi de
cinq jours de non-apparence et de fermeture du dit lieu d’accueil
pendant ces horaires. Explication/décodage : événementiel/ciblage. Les
membres de l’association sont allés chaque jour en visite, ailleurs,
sans signaler que ce ne serait pas ouvert.
Les seuls lieux sur lesquels on peut compter pour en tenir à la
regularité de leurs horaires, ce sont des magasins pour lesquels la
présence d’un clientèle localisé est essentiel, sinon ils ferment. Je ne
sais pas comment on pourrait représenter cela cartographiquement,
peut-être en établissant les lieux où les horaires de permanence sont
mis en valeur, correlées avec la réalité des lignes de force. Le
problème serait qu’il est probable que les lieux d’ouverture stable, les
lieux « fréquentables », n’auront même pas d’horaires affichés et ne
seront que difficilement identifiables. C’est la première loi de
l’information : si vous voulez la vérité, ne demandez jamais au bureau
qui en est responsable de vous en informer. Allez plutôt demander dans
le bureau d'à côté.
Une cartographie qui permet de réfléchir à ce phénomène, croissant, il
me semble, serait également facile à représenter, partiellement,
moyennant la carte générale de l’occupation de l’espace-temps. Il reste
clair qu’un désert rural est la production d’une population riche, qui a
l’objectif de le rendre encore plus désertique, tout en assurant le
maximum de services réservés à leur seule utilisation, ou munificence
d’affichage. La distance parcourue pour obtenir une corbeille de
services est donc un indicateur du profile plutonique d’un lieu donné.
Les riches forment des nœuds, des concentrations sporadiques, dans les
principaux et plus vastes espaces, mais, physiquement, ils provoquent
des clusters, des files d’attente, des embouteillages, là où ils
affluent, un peu comme le faisaient les cours ambulants des monarques
itinérants du temps passé, les Macrons du présent, ou n’importe quel
événement programmé pour les riches, qui crée vite des goulets
d’étranglement (des embouteillages) presque insupérables. Ceci
s’applique indifféremment aux raves, aux festivals en tout genre et aux
actions militantes des Soulèvements de la Terre ou de la CGT. Le
dénominateur commun est qu’ils sont tous plus riches que les vrais
pauvres, sinon il n’y aurait pas embouteillage.
Comme je l’ai dit, le reste du temps, la vacuïté de ces lieux est
assurée par des cadenas, des clés, des patrouilles, des équipes de
sécurité et de surveillance numérique. Le plus simple, c’est que rien ne
bouge, donc, personne. Cela évite de regarder des heures et des heures
de vidéo. Les humains, à ces moments-là – de « temps mort », sont vus
comme des encombrants – des risques sécuritaires – puisqu’ils réquièrent
toute une complexité très cher payée d’organisation et ils ne
contribuent rien à l’organigramme de la possession contrôleuse qui
maintient la structure à flot. Les horaires erratiques et imprédisibles
aident dans ce désencombrement, là où les clés accessibles aux seuls
adhérents cessent de fonctionner comme force dissuasive, mais la clé et
sa possession, ou la combinaison, est en général décisive. Une étude de
géographie rurale comparative pourrait établir la fréquence de cadenas
par kilomètre carré, factorisée par la densité de population de chaque
endroit surfacique.
Ces mosaïques d’espace-temps, reliées par des couloirs de flux, les
routes, également inoccupées et d’autant plus que les voitures roulent
plus vite, paraissent avoir un seul but, celui d’en exclure la plupart
des habitants ou non-habitants, présents ou potentiellement présents.
Non sans raison, les véritables habitants ruraux voient ça plutôt de
mauvais œil, mais ce problème est en grande partie résolu, de manière
pratique et convaincant. Ils n’y sont plus. On peut parler
d’auto-nettoyage éthnique. Typiquement, ils se trouvent en péri-urbain,
ayant revendu ou loué profitablement leurs maisons à des néo-ruraux citadins
(résidences secondaires). La vaste majorité de l’espace-temps campagnard
est géré par des flux tendus de gens pressés, qui n’ont pas le temps
d’occuper les espaces qu’ils ont prévus pour le cas où. C'est pour cela,
d'ailleurs, que les ruines cadastrées sont bien vues - cela représente
l'idéal, des endroits de consommation de l'espace-temps à la retraite,
pleins de latence.
L’exercise paraît être de créer le maximum de brassage, mesuré en
distance parcourue et énergie dépensée par kilomètre de déplacement, pour réaliser le
minimum de résultats en termes d’occupation productive efficiente. Ou,
si l’on veut le voir d’une autre manière, de produire énormément de
latence, de points de chute, de sécurité éventuelle, en prévoyant toutes
les possibles usages qui ne sont presque jamais, en réalité, réalisés.
Pendant quelques années cette révelation m’est venue croissante, devenue
patente pendant les années de ségrégation et de confinement covides. A
ce moment-là, les mots présentiel, distanciel, physico-socialisation, viséo-conference, virtuel, ont vraiment pris leur essor. Il est devenu une nécessité de créer un vocabulaire pour décrire des phénomènes bien manifestes.
Il n’y avait plus personne dans les salles prévues pour leur congrégation, une sorte de silence embarrassé les a remplacé.
où … comment créer un désert rural …
Pour rejoindre les deux bouts, donc, de cette pensée analytique, la
richesse et le statut social se sont combinés pour présenter un signal
fort. L’espace-temps de la libre-association et de la voie publique,
dans son accessibilité, sera dorénavant clos à la plupart des
habitants de la terre, et ceci, par un étroit contrôle de leurs
mouvements. Dans ce monde, en pauvre, on sera obligé de se déclarer
sédentaire, raison : inclusion (insertion) sociale, tandis que le droit
de bouger ne s’accorde qu’à ceux qui se sont déjà déserrés (accès aux
clés). Eux, devenus maîtres de l’espace-temps et de la congrégation, ne
seront pas là où ils « sont », mais accessibles exclusivement à ceux
auxquels ils accordent le droit de la congrégation. Malin.
La croissance du pouvoir des associations, elle, est réservée à l’usage
des « adhérents » (bénévoles, bénéficiaires). Visiblement, les
bénéficiaires ne sont là, quand ils sont là – les horaires autorisés de
présence sont strictement minimales – que pour justifier les frais
énormes de leurs gérants, subventionnés par le gouvernement. Les «
responsables » (salariés) se donnent très largement le temps pour
l’entre-soi, par contre, restreignant les activités du groupe «
clientèle » (patientèle) à des « one-on-one » (accompagnements).
Et tout cela se révèle dans une carte bien ficellée de l’occupation de
l’espace-temps, de manière vectorielle, comme pour n’importe quel
processus de prédation sociale. Notons que cela a toujours été le cas,
on dit depuis l’aube du temps mais moi je dirais plutôt depuis
l’avènement de la civilisation, ou de la sédentarisation, qui permettent
de moduler ou museler la libre-association.
Civilisation, sédentarisation, colonialisation, c’est un peu la même
chose, du point de vue moderniste. Peut-être cela a toujours existé, au
moins en embryon ? Les riches, eux, sont autorisés à bouger, les
pauvres, cloués sur place. Les pauvres n’ont l’autorité de la bougeotte
que dans la retenue et au service des riches, c’est même la seule source
de salut, pour eux. Longtemps j’ai été puzzlé par ces incronguïtés
apparentes. Pourquoi un riche qui n’est jamais là s’acharne-t-il autant à
prétendre qu’il est de souche, et cela depuis toujours ?
Ce qui a changé, entretemps, c’est l’automisation (atomisation,
fragmentation), dite de la révolution numérique, dirons : la révolution
des riches, de l’accaparemment chaque fois plus grand de l’espace-temps.
Ce qui a changé, d’ici en amont, est le grand remplacement, de fonctions
humaines par celles des machines, qui rélève la question : pour qui et pour
quand ? La réponse est clair : pour les riches, toujours !
Ce qui a changé, dorénavant, c’est l’emploi de l’espace-temps. La
principale tâche étant de strier le terrain pour s’assurer de sa
non-occupation. Il n’y a rien à y faire ! Même un état entier peut être
mis hors courant à l’instant même (Gaza Strip, maintenant). La
productivité humaine, mesurée objectivement, a cessé d’exister, celle de
ses machines a augmenté en proportion, jusqu’à ce qu’il vire dans une
autre dimension. La gestion des ressources veut dire leur immobilisation
(sauf en cas d’usage de riche possédant). Et on se demande pourquoi
tout ça à l’air de nous rendre malades, nous qui n’avons plus de
fonction ?!
Entreprise sociale de l’occupation de l’espace-temps
L’idée est relativement simple : je propose d’être payé pour mon
occupation de l’espace-temps des lieux prévus à cet effet, mais qui
seraient sinon fermés et non-accessibles (la plupart du temps) aux
populations desservies (théoriquement). Mon paiement, ce serait mon
occupation, ma récupération de l’espace-temps, ma permanence permettant à
d’autres la co-utilisation de l’espace (grégarienisme). Cette tentative
d’entreprise socialement utile permettrait au moins de faire une sorte
de sondage des raisons affichées pour refuser mes services.
Il y a similitude de cette attitude avec le concept du voyage lent, le
ralentissement du temps augmente l’occupation de l’espace par des êtres
sentients et ainsi les possibilités d’interaction non-léthale avec des
créatures qui ne bougent pas à la vitesse de la lumière (ou de la
voiture). L’affaire est relativement solide en termes de computation.
Cela donne des co-efficients d’efficacité de l’occupation de
l’espace-temps, vectoriellement parlant. L’idée est de ne pas jeter le
bébé avec l’eau du bain. Le mouvement, l’occupation, l’association ont
tous leurs rôles, calculables de surcroît, mais ne sont plus des simples
quantités, sinon des produits factoriels des relations entre plusieurs.
La mesure indexe étant toujours le niveau d’occupation de
l’espace-temps (en "corps humains").
Celui qui dit relation dit auto-organisation. Celui qui dit
auto-organisation dit organisation toute courte. L’organisation des
relations la plus efficace se fait par les organismes eux-mêmes dans les
plus compacts coordinations spatio-temporelles réalisables, minimisant
l’utilisation nécessaire de ressources énergetiques. Il y a donc
urgence à appréhender que la capacité d’allumer ou éteindre un pays
entier, avec un seul bouton, est un critère d’excellence
organisationnelle qui se fourvoie. L’idéal organisatif, entropiquement,
serait que l’individu avec son doigt sur le bouton rouge serait
entièrement impuissant, les événements passant à de toutes autres
échelles et par de tous autres détours et machinations.
Propriété
Nous avons eu, longtemps, l’habitude de voir l’occupation de l’espace en
termes de sa productivité. Les fiefs des seigneurs cumulés, cadastrés,
équivalaient à telle quantité de blé, de bois, de richesse. C’est
d’ailleurs du capital qu’on parle, à l’origine.
Mais une chose quéruleuse s’est passée, entretemps. La marque du riche
est devenue sa capacité d’« occuper » l’espace – le terme est abusif du
sens – pour ne rien y faire. Ou bien, pour y faire quelque chose de
temps en temps, sporadiquement, de nouveau. On ne sait jamais quand
viendra l’homme, avec son tracteur, sa girobroyeuse, sa chevrotine son
chien, on sait juste que c’est une mauvaise nouvelle – tout doit
disparaître, comme dans les soldes.
Sa solde, en effet, c’est la valeur de son bien, cash – ou bien «
plastique », c’est une valeur plastique, un art plastique, la conversion
de biens en stipends (paie).
Tout cela pour dire que si l’objectif premier de cette affaire, la
propriété, était productif, elle est devenue maintenant purement
relative, elle ne peut plus rien produire, en termes physiques, et tant
mieux, elle fait fonctionne de pouvoir, cet avoir, et rien de plus. Elle
est virtuelle – et sa physicité aussi. C’est ce qu’on appelle la
dématérialisation, mais où est partie toute cette matière ? Elle a toute
l’apparence de s’être vaporisée. Si la richesse, c’est le sol, nous
vivons une époque ou l’atmosphère et les fonds des océans prennent tout,
ne nous laissant rien. A quoi bon, donc, la propriété ? C’est peut-être
pour cela que l’axe de mouvement de la civilisation est correlé à
l’existence, purement notionnelle, de la propriété – et ensuite l’accès à
la propriété, notionnellement pré-occupée.
On se prépare pour le pire, le moment où la propriété peut de nouveau
valoir quelque chose, en termes de production concrète (VER - valeur
écologique rajoutée).
Vous pouvez me faire l’observation, avec une part de raison sans
doute, que la propriété, de quelque type qu’elle soit, mais surtout du
type « rapport de force » et non pas usager, vaut déjà notre
alimentation, mais dans ce cas, pourquoi est-ce que cette propriété vaut
si peu, dans les pays où elle vaut encore quelque chose, les pays
pauvres ? Par rapport aux pays riches, par mêtre carré, elle ne vaut
rien du tout. Elle vaut d’être conquise, et "mise en valeur".
Il est légitime, donc, de dire que la valeur est purement rélative, elle
ne fait que symboliser le rapport de force que l’on tente de créer
entre êtres humains, y inclus l’entretien de peu de valeur où la plupart
de la valeur est produite, et beaucoup de valeur là où le moins de
valeur est réellement produite, y inclus tous les moyens matériels
non-humains qu’on a trouvé, principalement les machines, pour que ce
soit ainsi, les industries tertiaires, les armements, la securité, qui
renforcent ces valeurs tordues, puisque qui mange le pétrole, le petrole
qui fait 70 % pour cent de notre production, mais qui le mange,
vraiment ? C’est dégueulasse, vous avez essayé ? C’est l’un des
principes favoris des écolos, de dire qu’on peut vivre du prana,
tellement peu qu’ils nous faut pour vivre, tandis que pour un
capitaliste pure souche, le monde entier ne suffit plus pour produire le «
nécessaire » (confort, facilité, réalisme).
Cette multiplication de moyens qui ne servent strictement à rien, moins
deux et comptants, qui nous amène gracieusement vers la chute libre pour
l’éternité écourtée. Disons que l’efficience énergétique est devenue
contre-productive, dans l’économie de la production-consommation,
puisque ce qui n’est pas produite ne peut pas être consommée, et ce qui
ne se consomme pas n’a pas de raison d’être produite. Bien entendu que
la production, dans ce cas, c’est la production de survalue, d’intérêts
et de l’or, le reste est immatériel.
Plus le riche produit donc, à sa façon, plus il a de pouvoir, même s’il
n’a pouvoir sur rien de tangible, de telle manière que sa production est
devenue, peu à peu, purement sociale (=anti-sociable).
En cela il ne divague pas du principe de l’organisation de la matière,
qui trouve sa meilleure expression dans le concept « jardin ». Il ne
faut pas oublier que l’inception de l’humanité, version civilisée, a eu
lieu … dans un jardin, selon les rapportages de l’époque.
Dans un jardin, au contraire de l’agriculture, le but est de faire qu’il
se fasse le maximum, sans presque rien faire soi-même, idéalement. Cela
paraît conra-intuitif. N’est-ce pas que le jardinage, c’est du boulot,
du boulot physique, en contact avec la terre, et que les justes
récompenses de cette labour, ce sont les fruits de cette terre, cette
terre « cultivée » ?
Absolument pas. Le meilleur jardinier, c’est celui qui investit la
plupart de son temps à observer (surveillance), assis sur un banc, un
talus ou au milieu de sa parcelle, à mâcher sa paille et regarder le
temps passer. Il observe une limace, en train de dévorer ses jeunes
pousses, il la chope et il la jette, et en ceci il ne fait ni plus ni
moins que le capitaliste qui surveille son royaume pour repousser tout
intrant.
Il enlève les mauvaises herbes pour laisser prospérer les bonnes, bonnes
pour lui, mais par des circuits parfois très indirects. En fait, il
fait un travail surtout intellectuel, plus il a de connaissance des
espèces et de leurs interactions, moins il aura de travail à faire
lui-même. Il lui suffira de leur assurer leur place et de la nier au
nuisibles. S’il fait encore mieux son travail, les plantes auront déjà
trouvé leur place, il n’aura même pas à les planter. Pour cela aussi que
tout ce qui se fait dans le jardin peut être réduit à un processus de
tri : favoriser, défavoriser, mettre à l’ombre, au soleil, protéger du
givre, exposer aux éléments, déssècher, réhumidifier, mais finalement,
si le dessein est bon, cela se fait « tout seul », c’est-à-dire, le vrai
travail n’est fait que par ceux qui ne le considèrent pas un travail,
est qui consiste en …
S’entrebouffer
Vous n’allez pas me dire que manger, c’est un travail, quand même ?
Cependant, notre devoir citoyen paraît de plus en plus être « consommer
». Il est vu comme déloyal de ne pas consommer, dans une économie de
pays riche. On demande les moyens. On nous subventionne. Le vrai travail
d’une vache est de ruminer, ne l’oublions pas. Mangeons les fruits du
jardin, nous aussi, c'est un ordre.
Dans un jardin, donc, le travail n’est pas le travail, la loi du moindre
effort domine et sans manger, il ne se produira rien – un peu comme
dans le désert rural français. Les pauvres agriculteurs prennent le
contre-pied et vivent des vies d’enfer, entourés de machines et
d’insalubriété industrielle, sans jamais sortir de leurs machinosphère, dans
des paradis terrestres qu’ils n’ont pas le temps, ni l’espace
d’apprécier. Ce sont des travailleurs, et par tous les comptes rendus,
des travailleurs malheureux. Le travail qu’ils exécutent est un vrai
travail – c’est de la torture, ce qui explique, sans doute, qu’ils en
veulent terriblement aux fainéants, ceux qui mangent sans travailler et
avec plaisir. Eux, leur boulot, c’est de détruire la terre, ils ne
peuvent même pas s’aimer, pour cela, ce qu’ils aiment, c’est donc le
masochisme et la souffrance productive – le travail.
Comme cela a été dit, l’agriculture est un cas social rural à part et n’a
rien à voir avec le jardinage – les buts ne sont pas les mêmes. En tous
cas, c’est une analyse plutôt historique qui est faite ici. Les
agriculteurs ne font plus partie, sauf en nombre infime, du paysage
fonctionnel rural – ils sont déjà disparus, comme les hobbits et homo
florensis. Bientôt, si les choses continuent comme ça, les machines les
remplaceront entièrement, dans un travail duquel on demande à quoi ça
sert ?
Par exemple, en Ariège, il suffit d’un seul opératif humain, qui passe
la plupart de son temps en voiture, pour desservir plusieurs carrières.
En Lozère, j’ai moi-même vu un ouvrier arriver dans une entreprise
Lafarge, au petit matin, pour accomplir un seul geste. Il a appuyé sur
un bouton et l’usine entière s’est mise en marche. Et oui, cette
opération a bien des parallèles dans la technique « jardin ». Les
carrières « mangent » le paysage, tout le paysage, si on les laisse
faire. Coïncidence ? Par contre, les machines agricoles, plus proche
philologiquement des valeurs du jardinage, ne font que l’aplanir, avant
de procéder à l’élimination de toute végétation et de toute vie.
Ceci donne un mauvais exemple aux jardiniers susceptibles.
Les écologistes qui aiment bien regarder ce paysage sans y toucher (ce
sont principalement des « hors sols ») sont très agités, qu’est-ce
qu’ils feront s’il n’est plus là ? C’est vrai que les grosses machines
des carrières mangent déjà beaucoup de paysages. Mais je pense que ces
écolos voient le monde à l’envers. C’est parce qu’eux, ils prennent tous
des voitures pour aller regarder le paysage que le paysage disparaît.
Aller voir, il faut qu’ils arrêtent ça, déjà. Je suis sûr que c’est
l’argument que déployera, sans hésitation, le seul carriériste restant
en Ariège. Son sale boulot, s’il ne le faisait pas, quelqu’un d’autre le
ferait, et en tous cas, ce n’est pas de sa faute si la demande est là.
L’individualisation des responsabilités et leur démarcation est une
étape importante dans l’étayage d’une philosophie d’exculpation et
résignation individuelles (l’écologie profonde). Dans un monde
industriel, cette stratégie d’irresponsabilisation, des fins du mois,
est presque obligatoire, sinon rien ne va. On la voit partout, cette
philosophie décrite et analysée par Anna Rhendt, notamment, dans les
camps de concentration, dans les hiérarchies gérantes, à chaque échelon
de la société. « J’ai juste fait mon boulot », comme une machine.
Ben, maintenant, c’en est, une machine. Qui le fait ? Il est un peu
normal qu’on ne sait plus qui fait quoi, ni pourquoi. Ca se fait pas, ou
plus, en général. Des mitraillettes qui se tirent dessus toutes seules, des
tronçonneuses qui tronçonnent, des voitures électriques qui se
transportent, des conteneurs qui se transportent et qui se rangent, la
terre est devenue un énorme jardin (parking lot - lots of parking) pour
que les machines se mangent pour nous. Bien sûr que ça ne marche pas,
mais c’est ainsi conçu. En réalité, ça marche, mais pas pour nous. Les
machines ne s’entre-mangent pas – c’était l’erreur délibérée dans la
phrase précédente – ils nous mangent. Le pouvoir vertical humain se
coupe l’herbe sous ses pieds, scie-mment, parce qu’il est fait pour cela
et il ne sait pas faire autrement.
Je pense que les gens pensent qu’il est incroyable d’avoir une vision si
négative, si dépréciative, du monde dans lequel nous vivons, mais dans
mon jardin, tout allait bien, jusqu’à ce qu’on vînt briser l’ensemble,
le collectif, dans son entièreté, pour m’atteindre à moi, pour établir
la « propriété » en le rasant.
C’était le positif, qui me remplissait de joie. Je pense positif, le
négatif que je décris est un effort de description à but de l’évitement
des crimes contre la terre comme des crimes contre l’humanité – il est
important de se ressentir ensemble. J’espère convaincre, en montrant d’un
côté comment ça marche, en mourant, de l’autre comment ça marche bien,
en vivant. Qu’on me dise que je ne suis pas pro-négatif, je le veux
bien, j’en suis flatté, même, de la reconnaissance.
Qu’on me dise qu’on voit le vert plutôt à moitié plein, je crie : « aux
armes ! » Quel vert ? Celui des riches ? Quelle terre, celle des
pauvres ? Si je tente de migrer chez les riches, ils n’en veulent pas de
moi. Si je retourne à la terre, je suis mort. Quel verre à moitié plein
? Quelle terre ? On me la mange sans que j’en mange, comment puis-j’en
être content ? Ma terre, elle n’est pas à moi, elle n'est pas là.
Pauvres et Riches
Quand je dis « riches », ou « pauvres », il faut reconnaître que je ne
suis pas du tout content de cette terminologie et encore moins de mon
usage des concepts. Par exemple, tout-à-l’heure, j’ai du inventer un
lien : « les dépendants des riches », un autre « la retenue des riches
», pour accommoder le fait qu’il y a des gens attachés aux riches, d’une
manière ou autre, susceptibles de soutenir les valeurs des riches et
qui, si l’on votait, feraient le poids électoral qui faisaient gagner
les pro-riches dans les élections. Qui ne sont pas, eux-mêmes, riches,
j’ai hâte de rajouter, s’il y avait un doute - juste coincés.
Les riches eux-mêmes, étant par définition numériquement inférieurs aux
pauvres et ceci d’autant moins qu’ils sont plus riches, ne font même pas
le poids, aux élections, pour gagner, et peuvent même voter contre leur
camp, pour des questions de conviction plutôt que d’intérêt. Il arrive
qu’un riche, il ne s’aime pas, parce qu’il est riche, c’est même assez
fréquent et je le comprends. Ce qui peut expliquer qu’une bonne partie
de leur richesse est investie dans le dupage des pauvres et les pauvres
riches pour qu’ils votent contre leurs propres intérêts. Si les pauvres
ne sont pas dupes, il y a toujours la menace.
Pour les pays riches – les pays dits riches, c’est à peu près le même
scénario vis-à-vis les pays pauvres. Les populations civiles (c’est un
peu comme une guerre en continu), le peuple, quoi, des pays riches sont
plus ou moins clients de la richesse de leurs pays – des dépendants,
assistés, même si la plupart de l’assistance sociale est réservée au
classes médianes, encore des riches. Pour prendre la mesure de ce
phénomène, je dirai au hasard que la probabilité qu’une population
migrante des pays pauvres vote en faveur de politiques qui favorisent
les pauvres est proche de zéro, ils voteront pour la richesse, yeux
rivés vivement vers le haut. En ceci, ils ne feront ni plus ni moins que
ce qu’ils ont fait ou feraient dans leurs pays d’origine, étant donné
qu’ils viennent, majoritairement, des élites et oligarchies de ces pays,
pour lesquels il y a toujours plus haut, plus loin. Et oui, ces effets
se passent à plusieurs échelles fractales à la fois, et de manière
souvent interconnectée.
On pourrait dire qu’ils sont plus conservateurs, en général, que la
population hôte. Que la gauche est soutenue, aujourd’hui, plus par des
personnes d’origine socio-éducative haute que basse, par rapport à la
droite. Que c’est dorénavant l’extrème-droite qui reçoit le vote populaire,
ouvrier et immigré intégral.
Et qui peut donner tort à tous ces gens ? Ce qu’ils font est assez
logique. Les jardiniers de la politique, les Ellen Musks, Présidents
Poutines, etc., essaient d’exacerber ces tendances, en enflammant de
nouveaux fronts, anti-intellectuel, anti-pacifiste, anti-faible,
anti-groupes minoritaires, pour bien pourrir la situation et pour éviter
la création de foyers humanisto-idéologiques qui pourraient leur faire
face. Ils jardinent industriellement, bien sûr, avec tous les nouveaux
gadgets, en sillonant régulièrement les vastes champs de désaccord
pourque aucune mauvaise herbe de décence humaine ne puisse jamais
prendre racine.
Il doit y avoir des analyses beaucoup plus fines, sociologiquement, que
celle que je viens de faire, mais attention, la sociologie industrielle
n’est pas fine, elle broie tout, indifféremment. Comme tout procédé
industriel, la complexité non-ordonné (par soi) est perçue comme une
menace, broyée et réconstituée, pour que l'on puisse en être sûr que « ça marche ». « Ça »,
c’est le processus qu’on a prévu, n’importe lequel, c’est la confiance
dans sa capacité de nuisance qui compte, à ce stade-là. La meilleure
manière de prédire l’avenir est de l’exécuter, d'après tout, selon la
mentalité industrielle. C’est pour cela que dans une situation d’emprise
industrielle, la disruption des plans viendra toujours d’un cumul de marginaux – de « non-prises en compte » qui s’accumulent aux bords du
champs de bataille. Il est rélativement facile de déstabiliser un
processus industriel, c’est pour cela que la plupart de l’effort
industriel est dédié à éliminer la capacité d’auto-organisation de ces
marges, pour prevenir, justement.
La campagne est vaste. Elle est difficilement contrôlable. La meilleure
solution industrielle à ce potentielle menace est de la coloniser avec
des pro-industriels qui défendront les intérêts des riches, qui ne sont
qu’infréquemment là, qui défendent ce qu’ils imaginent être leurs propres
intérêts – leur propriété. Les diasporas, ce sont les coloniaux,
habituellement bien plus socialement conservateurs que ceux qui sont
restés dans le pays d’origine. Et tous ces gens, pour les encapsuler, on
utilise la rubrique « hors sol », dans le contexte industrio-numérique
actuel.
Ou bien les riches et leurs dépendants, même s’ils sont en réalité pauvres. Ils restent les dépendants des riches.
Peut-être la menace idéologique la plus profonde à ces intérêts très
marqués, c’est la menace d’une politique stable « pro-pauvre ». Il faut
cependant établir le sens précis de cette expression, même si le sens
est sans nuance et bien exacte dans la phrase donnée. Une politique
pro-pauvre est une politique qui favorise la pauvreté, pas une politique
qui rend les pauvres plus riches. Il détruit le pouvoir des riches,
jusqu’au point où il n’y a plus aucun intérêt social ou économique à
être riche.
A ce moment-là, certains esprits bien avisés diront « Aah ! Là je sens
des propositions bien révolutionnaires ! » Le pape François, le Saint
François et Jésus lui-même n’ont pourtant pas cessé de promulguer la
doctrine qu’il est plus difficile pour un homme riche de passer au
paradis que pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille. Si
c’est révolutionnaire, cela ne date pas d’hier.
La héresie moderne est en effet de suggérer que tout le monde n’a pas son
prix. La tâche des tortureurs de Big Brother en 1984 était, après tout,
de trouver le cauchemar individuel qu’ils allaient administrer sur
chaque détenu, pour le faire parler, pour le soumettre.
Renoncer à la richesse, c’est renoncer à son prix d’achat, se rendre
insoumissible, se refuser au rapport de force. Est-ce vraiment si
révolutionnaire que cela ? Et pourquoi est-ce que cela provoque autant
d’hostilité chez les friands de la liberté ?
A cette dernière question rhétorique il y a une réponse rhétorique.
C’est un chemin envers la liberté qui menace le leur. Un pauvre, selon
cette doctrine, est quelqu’un qui manque la capacité d’être riche. Il
est moins performant et moins apte à la survie. Il est limite fardeau,
il ne porte pas son propre poids, il est probablement parasitaire, sur
les efforts, capacités et performances des bons bosseurs. Il est bon à
rien – il vous sort le pain de la bouche. Il est contre le progrès,
l’inventivité, le développement, tant personnel que civilisationnel. Il
vit dans sa crasse, étant trop fainéant, même, pour se dépasser, ou se
respecter. Un pauvre, en somme, n’a même pas lieu d’être là, là ou un
riche, dans son plein droit, occupe la place qu’il a gagné de par ses
talents, son courage et sa perserverance.
Comme vous pouvez le constater, cette doctrine est non seulement
parlante, étincelante d’expressions et d’idées reçues qui nous sont
toutes familières, mais elle a même l’air de contenir des notes de
vérité. On peut tolérer les pauvres, mais seulement jusqu’à un certain
point. Ce point est celui où ils nous menacent dans notre richesse - et notre aspirtion à la richesse, qu'ils traînent dans la boue.
La tâche intellectuelle et idéologique d’honorer la pauvresse est donc
difficilement lançable. Cette difficulté naît d'une confusion entre deux
états différents. La pauvreté digne et solidaire / la pauvreté précaire
et involontaire. Excusez-moi la pauvreté de mon élocution, je ne suis
pas intellectuellement équipé pour m’exprimer mieux que ça. La
déterioration de mon état mental se démontre par l’appauvrissement de
mon expression. Mes ressources sont maigres. Pour démontrer jusqu'à quel
point la stigmatisation de la pauvreté est imbriquée dans notre langue
de tous les jours.
On dit que personne ne veut vraiment être pauvre, en ciblant la deuxième
catégorie, la pauvreté involontaire, chemin faisant, la servitude
volontaire. On fait l’amalgame des deux, en disant que sans capital,
sans réserves, on manque de résilience (pensée survivaliste). On
remarque que la pauvreté est dans la tête, comme si on était
personnellement responsable pour son état pitoyable, qu’on peut être
riche tout en étant pauvre et l’inverse, que cela dépend de la
définition de ce qu’est un pauvre. Son héritage.
À une époque où le statut des machines, par rapport aux humains, est
si fort, l'humain tout seul sans avoirs, sans biens, a moins de statut
que celui qui est accompagné, par un véhicule, par un portable. Avant,
ses accompagnants, c'étaient des hommes, des femmes, des bêtes.
Qu’est-ce qui se passe si la pyramide socio-économique s’aplanit, si la
différence riche-pauvre commence à diminuer ? Toutes les vociférations
ci-dessus deviennent bien moins importantes, on n’y prête plus beaucoup
d’attention – il y a d’autres choses dans la vie que l’argent. C’est
assez clair et net, nous venons de vivre une époque où c’était le cas,
la pyramide du pouvoir a été la plus plate vers 1973, paraît-il. Les
idées de cette époque, on constate, sont justement associées avec
l’indifférence à l’argent, l’aspiration à l’épanouissement personnel et
social, plutôt qu’à l’enrichissement, jusqu'à la rupture du lien, perçu aujourd’hui
comme nécessaire, entre l’argent et le pouvoir.
pour quoi la pauvreté ?
On commence à entrevoir quelques réponses. La pauvreté, non-stigmatisée,
assumée, permet de penser à d’autres priorités que celle d’assurer,
d’abord, ses propres bases (la charité commence chez soi).
Au contraire, elle permet de s’assurer que les bases des autres sont
aussi solides que les siennes (solidarité). Cette assurance se
mutualise, humainement. Le rapport de force perd du terrain. Toute une
gamme de mesures sécuritaires et préventives deviennent innécessaires.
schéma : comment la pauvreté ?
cadre
rapport
but
définition
discours
axe
écologie
vitale
favoriser la
pauvreté
adominant.e
inconforme
♄
économie
sociale
sortir les gens de la
misère
dominant.e
orthodoxe
☿